Récemment, l’Agence nationale de la recherche de France (ANR) rassemblait à Paris des spécialistes en sciences humaines et sociales afin qu’ils réfléchissent aux potentialités de la recherche sur la radicalisation. Sociologues, historiens, psychologues, politistes, juristes et anthropologues ont ainsi dressé un état des lieux des recherches (plus ou moins) scientifiques qui l’ont pris pour objet ces dernières années, tout autant qu’ils ont questionné les emplois et les sens du terme lui-même. Il ressort de ces discussions une interrogation majeure sur la pertinence, voire même l’utilité, pour les sciences humaines et sociales, de se saisir de ce mot comme concept opératoire pour décrire un quelconque fait social.
Les récents attentats viennent nous rappeler les apories de la stratégie française du « tout-sécuritaire » en matière de lutte contre le jihadisme. Initiée à partir des années 1980, cette stratégie est fondée sur le triptyque suivant : surveiller, démanteler et incarcérer. Avec le développement des filières à destination de la Syrie, l’arsenal juridique a même été renforcé pour permettre de mieux prévenir et réprimer le terrorisme avec le projet de loi porté par le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve, adopté le 17 septembre 2014, pourtant critiqué par le syndicat de la magistrature et Reporters sans Frontières. A leurs yeux, en effet, cette loi constitue une atteinte aux libertés publiques, par ses mesures dérogatoires au droit commun.
Les chercheurs peuvent-ils procéder, avec le détachement qui sied, à l'analyse d'un événement dont la portée traumatique et les visées symboliques les ont touchés au plus profond de leur culture et de leurs valeurs ? Certes non, d'autant plus quand ces chercheurs œuvrent à l'Université libre de Bruxelles, temple du libre examen scientifique, qui pour avoir accueilli à plusieurs reprises la journaliste Caroline Fourest fut non seulement mise en cause, mais fit l'objet d'une violente agression. D'autant plus, aussi, quand ces chercheurs travaillent en étroite relation avec le Musée juif de Belgique, victime en mai 2014 d'un odieux attentat qui allait les toucher au plus profond d’eux-mêmes. Mais il faut pourtant tenter de raison garder, et essayer d'analyser avec lucidité ce que signifie la barbarie qui s'est brutalement insinuée au cœur de l'Europe, ce mercredi 7 janvier — et les suites qu’on en connaît, le vendredi 9.
Nous sommes, ici à Bruxelles, sous le choc de l’opération meurtrière du samedi 24 mai au Musée juif de Belgique, installé dans le paisible quartier bruxellois du Sablon. Et ce à la fois en raison du fait que cette fusillade s’est déroulée dans une ville qui depuis longtemps échappait à toute violence de nature terroriste, et parce que notre Université — en particulier le Centre de recherche qui développe le projet ORELA — entretient depuis de longues années des liens soutenus avec le Musée juif de la capitale belge.
Ce 25 octobre se déroulait à Tunis le procès de Habib Kazdaghli, doyen de la Faculté des Lettres de l’Université de La Manouba, qui répondait devant le tribunal d’actes de violence commis par un fonctionnaire dans l'exercice de ses fonctions, suite à une altercation avec deux étudiantes en niqab, en mars dernier, dans son bureau. Une accusation qui n'est que le dernier épisode en date d'une longue série qui a vu le professeur Kazdaghli être victime d’agressions et de menaces, jusqu’à l’occupation de la Faculté de La Manouba par des militants salafistes — lesquels tentent d'imposer par la violence et la peur la prévalence des normes religieuses et le refus des règles académiques.
Depuis l’immolation de Bouazizi en Tunisie le 17 décembre 2010 et la destitution de Ben Ali un mois plus tard, on assiste à un éveil des sociétés arabes. L’Egypte se débarrasse de Moubarak, la Lybie de Kadhafi, et en Syrie, malgré une répression très violente et le risque d’une guerre civile, les opposants au régime de Bachar al Assad poursuivent le combat.
Les révolutions arabes supposent des changements radicaux, donc une redéfinition de la citoyenneté, du pacte social et des rapports entre le politique et la religion. Mais cette redéfinition du politique a surpris par les scores écrasants réalisés par les formations islamistes lors des dernières élections. Comment s’explique ce retour vers le religieux ? Comment interpréter l’accession au pouvoir des islamistes et comment décrypter leur place dans le paysage politique post-révolutionnaire ?