En 2007, sa requête fut déclarée recevable mais non fondée par la Chambre des mises en accusation, et son pourvoi en Cassation rejeté en 2008. La Chambre du conseil décida en 2010 d’ajourner l’affaire sine die pour permettre une éventuelle jonction d’un autre dossier au dossier en cause — le règlement de la procédure n’est ainsi pas encore intervenu à ce jour. Déboutée à chaque degré de la procédure par des cours et tribunaux concluant à l’irrecevabilité des poursuites, l’Eglise de Scientologie, en dernier recours, s’est donc tournée vers la Cour Européenne des Droits de l’Homme afin d’attaquer la Belgique pour avoir violé son droit à un procès équitable et à sa présomption d’innocence : elle y a vu ses requêtes une nouvelle — et dernière — fois rejetées par la Cour de Strasbourg, dans une décision rendue ce 27 août 2013 (Église de Scientologie c. Belgique).
Le mouvement des scientologues, constitué en droit belge sous forme d’une association sans but lucratif, visait devant la Cour de Strasbourg à contester la conformité aux principes du droit pénal de la procédure engagée par les juges belges à son endroit pour escroquerie et abus de confiance, et ce en 1997 déjà — ce sont ajoutés depuis d’autres chefs d’inculpation, pour faux, pratique illégale de la médecine ou infraction à la loi sur la vie privée notamment, l’Église ayant été encore inculpée en 2008 pour des contrats d’emplois douteux, une enquête ouverte à la suite d'informations transmises par Actiris, l’office régional bruxellois pour l’emploi.
En effet, à la suite des perquisitions menées en 1999 dans le cadre de la première procédure judiciaire contre l’Eglise de Scientologie, notamment à son siège bruxellois — l’opération avait d’ailleurs mobilisé cent-vingt gendarmes sur sept arrondissements judiciaires et avait été menée conjointement avec des perquisitions effectuées en France, à la demande des autorités belges —, le juge d’instruction avait publié un bref communiqué de presse faisant état de ces perquisitions et précisant qu’aucune inculpation n’avait encore été prononcée dans ce dossier.
Considérant que le juge avait de ce fait outrepassé ses prérogatives, et ce dans un contexte où différents organes de presse avaient quant à eux diffusé des informations d’origine judiciaire ou policière — on y prêtait des commentaires, relatifs au dossier, au substitut du procureur du Roi —, affirmant que bon nombre d’entreprises commerciales liées à la Scientologie réalisaient de substantiels bénéfices au détriment de ses membres et que l’Eglise collationnait des données personnelles et médicales sur ses adeptes, en contravention avec la loi sur la protection de la vie privée, l’Eglise de Scientologie avait entamé une vaste offensive judiciaire, dont le point d’orgue a été la procédure strasbourgeoise.
Par cette série de plaintes — introduites à chaque fois que la presse relayait des informations relatives au progrès de l’enquête —, l’Eglise a accusé le ministère public d’avoir violé l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, garantissant le droit à un juste procès — le procureur se voyant reprocher d’avoir fait connaître son opinion sur les faits imputés avant même l’audience et la présentation du réquisitoire requis dans le cadre du règlement de la procédure. Elle l'attaquait dans le même temps pour avoir porté atteinte à la présomption d’innocence garantie par la même Convention — des éléments du dossier ayant été apparemment transmis par le Parquet aux médias, conduisant le ministère public à faire, selon les avocats des scientologues, « des déclarations publiques reflétant le sentiment de sa culpabilité ».
Dans sa décision du 27 août dernier, la Cour européenne a signifié, à l’unanimité, la requête de l’Eglise de Scientologie irrecevable pour défaut manifeste de fondement, parce que ne révélant aucune apparence de violation des droits garantis par la Convention jusqu’ici — conclusion d’autant plus logique que les décisions de la justice belge relatives à la Scientologie ne sont toujours pas intervenues. Deux instructions sont en effet en cours, menées par les juges bruxellois Van Espen et Claise : le Parquet fédéral a requis le renvoi en correctionnelle et la Chambre du conseil devrait examiner dans les semaines qui viennent ce renvoi de l’Eglise et de deux de ses cadres dirigeants. Comme le relève la Cour de Strasbourg, l’équité d’une procédure s’apprécie au regard de sa globalité : dès lors, en l’absence de jugement définitif sur l’accusation litigieuse par les juridictions belges, la partie de la requête relative à l’éventuelle violation du droit à un procès équitable est prématurée et doit par effet de conséquence être rejetée.
En outre, la Cour considère que le contenu des propos prétendument tenus par les autorités judiciaires ne saurait leur être imputé de manière incontestable — elle relève que les seuls éléments de preuve produits dans cette plainte sont des articles de presse… Les auteurs d'éventuelles atteintes à la présomption d'innocence seraient donc les journalistes auteurs des articles, non les membres du Parquet auxquels sont attribués des propos dont il est impossible de prouver qu'ils les ont tenus. La Cour, en filigrane, pointe ainsi implicitement que faute de pouvoir s’en prendre à la presse pour ce qu’elle considère comme un acharnement médiatique à son égard, l’Eglise de Scientologie retourne l’incrimination contre les magistrats, et donc contre l’Etat belge, accusé de s’en prendre de manière systématique à un culte minoritaire, non reconnu, voire persécuté à ses yeux sur base de la législation relative aux sectes.
Pourquoi ne pas avoir attendu la conclusion de la procédure belge pour se plaindre d’une violation du droit à un procès équitable — la Cour de Strasbourg, dans sa décision, relève elle-même que « vu l’état de la procédure au plan interne, cette partie de la requête est en tout état de cause prématurée » ? L’Eglise de Scientologie, dont les conseils ne sont pas des sots, cherchait sans aucun doute un bénéfice juridique et médiatique dans cette requête strasbourgeoise : en tout premier lieu, et c’est sans doute le plus important à ses yeux, réaffirmer publiquement le bénéfice de la présomption d’innocence, et ce avant que ne tombe une décision de la justice belge à son endroit, comme l’analyse finement le professeur Louis-Léon Christians, de l’Université catholique de Louvain.
Condamnée lourdement par la Cour d’Appel de Paris en février 2012 du chef d’escroquerie en bande organisée et d’exercice illégal de la pharmacie — une condamnation historique aux yeux de l'Union nationale des associations de défense des familles et de l'individu victimes de sectes (UNADFI), dans la mesure où la Scientologie a été ainsi pour la première fois condamnée comme organisation —, l’Église de Scientologie parisienne avait eu recours là aussi à toutes les arguties, multipliant les actions médiatiques et judiciaires afin d’obtenir l’annulation de l’ensemble de la procédure devant la Cour de Cassation française.
La voie contentieuse et judiciaire — que la presse belge a qualifiée de stratégie de « guérilla procédurière » —, constitue pour l’Eglise de Scientologie à la fois un outil de défense de la liberté religieuse telle qu’elle entend la faire valoir, et un outil de légitimation de son existence, pourfendant la partialité supposée des autorités belges à l’égard des religions implantées sur le territoire. Dans le même temps, elle offre à l’Eglise de Scientologie un instrument de promotion appréciable, dans un contexte où, comme le font nombre de confessions minoritaires — a fortiori quand elles sont considérées comme sectaires —, la position de victime d’une présumée persécution religieuse sert les campagnes de communication de l’Eglise. Celle-ci, qui dans sa rhétorique victimaire mobilise volontiers l’analogie avec les tribunaux de l’Inquisition, s’en prend ainsi à la justice en lui reprochant de distinguer entre « bonnes » et « mauvaises » religions.
Elle tire là parti de l’absence de définition juridique claire d’une religion en Belgique, alors qu’il en existe une de la secte — en tous les cas de la secte dite nuisible — dans la loi du 2 juin 1998 créant le Centre d’information et d’avis sur les organisations sectaires nuisibles (CIAOSN) : « On entend par organisation sectaire, nuisible, tout groupement à vocation philosophique ou religieuse, ou se prétendant tel qui, dans son organisation ou sa pratique, se livre à des activités illégales, dommageables, nuit aux individus ou à la société ou porte atteinte à la dignité humaine » — rappelons que le CIAOSN, créé dans la foulée des recommandations de l’enquête parlementaire sur les sectes, constitue un centre indépendant institué auprès du SPJ Justice, et ayant une mission d’information sur tout mouvement à vocation philosophique, spirituelle ou religieuse.
Pour conclure, considérons avec Roseline Letteron (Université Paris-Sorbonne) qu’il s’agit, dans le chef de la Cour strasbourgeoise, d’une décision qui n’est en rien anodine, malgré la brièveté de son énoncé, une « décision très sévère qui prend l'allure d'un avertissement à la Scientologie et à l'armée d'avocats qui travaillent à protéger ses intérêts. Certes, écrit-elle, il n'existe pas au sens formel, de sanction pour recours abusif devant la Cour, mais les recours dilatoires ou purement médiatiques risquent de se retourner contre ceux qui les introduisent. C'est sans doute le message subliminal de la Cour ».
Jean-Philippe Schreiber (ULB).