Le nom de François est un programme. La polysémie de la figure inspiratrice nourrit l’imaginaire de réception du nouveau pape autour de trois messages forts : la paix, la pauvreté et la nature. Jorge Bergoglio explique devant les journalistes, le 16 mars 2013, son choix : « J’ai immédiatement pensé au Poverello. J’ai pensé aux guerres, j’ai pensé à François, l’homme de la paix, celui qui aimait et protégeait la nature, l’homme pauvre. ». Jean-Paul II avait fait de François d’Assise le saint de l’écologie en 1979 et choisi Assise comme lieu de rencontres interreligieuses. Le nom restera empreint d’une certaine radicalité, renforcé ici par l’absence de numérotation. François d’Assise avait reçu en rêve la mission de « Réparer ma maison qui tombe en ruines ».
Le journal Libération titre le 14 mars 2013 : « Du Nouveau Monde au balcon ». En effet, la première rupture est que l’élu argentin est le premier pape venant des Amériques, même s’il est né d’immigrés italiens. Ce jésuite, premier de son Ordre à accéder au poste suprême, prêtre depuis 1963, est devenu archevêque de Buenos-Aires en 1998 – où il n’a pas brillé par une opposition vive à la dictature argentine, pourtant brutale et assassine y compris envers des clercs et des religieuses.
Une réelle proximité couplée à une humilité, illustrée par son refus de loger dans les appartements du pape au Vatican au profit de la résidence Sainte Marthe, participe d’un indéniable charisme. Ses positionnements l’associent au catholicisme « social », anticommuniste et antilibéral – par la condamnation de l’argent –, promouvant la charité et en corollaire la pauvreté, et par extension la question sociale.
Son règne illustre des continuités : le pape est devenu mobile depuis Paul VI et le fameux voyage à Jérusalem en 1964 et surtout avec Jean-Paul II – 104 voyages dans 127 pays alors que Benoit XVI n’en réalise que 25. François, avec le matériel adéquat au fur et à mesure de son vieillissement, a aussi multiplié les déplacements au sein d’un catholicisme mondial.
Sur le plan des questions éthico-sexuelles, la continuité l’emporte, François est plus conservateur que vraiment novateur, défavorable au mariage gay et au mariage des prêtres tandis que le Vatican s’oppose à ce qu’il appelle « l’idéologie du genre ».
François a poursuivi le dialogue interreligieux dans la lignée d’Assise, il a rappelé l’Occident à ses devoirs sur les questions de pauvreté, de paix et des migrants… sans grand succès même auprès des fidèles. Il n’y a pas que sur les questions sexuelles que ceux-ci décident de suivre ou non leur pape.
Plusieurs textes adoptés – dont en 2013, Lumière de la foi (Lumen Fidei), en 2015 Loué soit le Seigneur (Laudato Si) et en 2020 Tous Frères (Fratelli tutti) – illustrent l’activité abondante de mise à jour de l’Église. Certains s’inscrivent dans la lignée d’engagements antérieurs en les approfondissant, par exemple l’attention à la nature, d’autres sont plus novateurs et illustrent la vision de Jorge Bergoglio. Ainsi, en 1964, Paul VI insiste auprès des artistes sur leur responsabilité « à rendre accessible et compréhensible, voire émouvant, le monde de l’esprit, de l’invisible, de l’ineffable, de Dieu. ». Dans sa Lettre aux artistes en 1999, l’intransigeant Jean Paul II insiste sur la nécessaire inspiration chrétienne des œuvres. Dans la Lettre du pape sur le rôle de la littérature dans la formation, du 17 juillet 2024, François place au cœur de la réception catholique de la littérature, l’incarnation : « Grâce au discernement évangélique de la culture, il est possible de reconnaître la présence de l’Esprit dans la réalité humaine diversifiée, c’est-à-dire de saisir la semence déjà enfouie de la présence de l’Esprit dans les événements, dans les sensibilités, dans les désirs, dans les tensions profondes des cœurs et des contextes sociaux, culturels et spirituels. ». La fécondation chrétienne peut donc inspirer de grands textes poétiques et romanesques sans nécessairement être une littérature à thèse : « La représentation symbolique du bien et du mal, du vrai et du faux (…) ne neutralise pas le jugement moral mais l’empêche de devenir aveugle ou de condamner superficiellement. »
Car le grand apport à court terme est la modification de l’approche des débats qui parcourent l’Église, une autre façon de faire, jésuite diraient certains critiques, sans nécessairement modifier les dogmes. Pour François, il ne suffit pas de rappeler le message des Évangiles, mais de l’incarner. Que ce soit sur le sacerdoce en Amazonie, sur l’accès aux sacrements des divorcés-remariés, comme il l’explique dans une lettre à un jésuite investi auprès des homosexuels le 8 mai 2022, l’Église doit être une mère qui accueille tous ses enfants dans la « joie de l’amour » (2016 Amoris Laetitia).
L’accueil prime sur la condamnation qu’illustre la politique de synodalité (2024), conçue comme un « marcher ensemble », pour modifier la gouvernance. L’Église ne fournit pas nécessairement des réponses venues d’en haut. En octobre 2023, le dicastère pour la Doctrine de la Foi affirme que l’accès aux sacrements des divorcés-remariés peut se faire avec discernement (il est jésuite), car tout baptisé doit recevoir l’aide de l’Église, mais la valeur sacramentelle du mariage n’est pas remise en cause. Si la réforme de la Curie n’est pas achevée, des éléments ont été accomplis, François nomme des femmes à la tête de certains ministères. Il a su tenir compte de l’équilibre des forces au sein du Vatican et de ce petit monde de clercs qui gouverne, plus ou moins, le vaste monde des fidèles mondialisés.
Si François a publié une lettre apostolique sur Pascal et François de Sales, s’il est un lecteur de Bernanos et de Joseph Malègue, comme évoqué ici en 2014, il n’est venu qu’une fois en Belgique ; quant à ses voyages en France, pour un pays aussi centralisé, ils sont en périphérie : Strasbourg, Marseille, Corse. En 2024, il ne participe pas à la réouverture de la cathédrale Notre-Dame de Paris. La vieille Europe nourrit-elle encore, à part financièrement, la vie de l’Église ?
Ce François apparaît plus orthodoxe que l’on ne le croit et plus traditionnel qu’on le présente souvent. Il fut néanmoins novateur en prenant et en proposant pour modèle le Christ, l’imitation du Dieu-Homme pour réaffirmer son humanisme. La gouvernance mue, même si le processus n’est pas achevé. Une autre façon d’être et de faire a donné un air neuf à la papauté après la sévérité de Benoit XVI. L’œuvre de François n’est néanmoins pas négligeable, mais reste à enraciner. Des évolutions sont nettement perceptibles, sauf quand on s’approche de l’autel – sacrements, rites, dogmes… Quoique craignaient ses adversaires, François n’a pas entraîné l’Église dans la Réforme.
Frédéric Gugelot, Université de Reims