Trouvant son origine dans les déportations en Babylonie au VIe siècle avant notre ère, la diaspora juive en Méditerranée orientale et en Italie méridionale est illustrée dans l’Antiquité par les vestiges des synagogues de Délos et d’Egine (Grèce), de Sardes (Turquie) ou de Stobi (Macédoine).
En 70 de notre ère, la destruction du Temple par Titus suscite une nouvelle dispersion. La présence juive à Rome est documentée par de nombreuses catacombes qui ont livré une somme d’informations sur cette population, bien intégrée dans l’Empire aux IIIe et IVe siècles de notre ère, où les juifs jouissent de la citoyenneté. En témoigne aussi la synagogue d’Ostie (IIe et IVe siècles), mise au jour en 1961 lors de la construction de l’autoroute Rome-Fiumicino. Cette présence à l’ouest de l’Empire est aussi attestée en Espagne par les vestiges de la synagogue d’Elx (IVe siècle). La découverte à Cologne dans les années 2000 d’un bâtiment antique sous les vestiges de la synagogue médiévale, et la mise au jour récente d’un bain rituel adjacent, montrent qu’il s’agit déjà d’une synagogue au IVe siècle aux confins nord de l’Empire.
En France, quelques rares objets témoignent de la présence juive dans l’Antiquité : des lampes romaines à décor de menorah, mais aussi des bijoux comportant des inscriptions en caractères hébraïques trouvés à Avignon. À Bordeaux, une bague juive antique a été mise au jour rue Cheverus – la rue Judaïque au Moyen Âge – permettant de faire l’hypothèse d’une juiverie installée dès la romanisation et qui perdurera jusqu’aux expulsions médiévales.
Si des sources textuelles révèlent la présence de juifs dans différentes villes d’Europe occidentale au Premier Moyen Âge, leurs traces archéologiques sont rares. Plus tardifs, les vestiges du judaïsme médiéval sont localisés essentiellement en contexte urbain au sein de juiveries qui regroupent bâtiments d’habitation et édifices communautaires (synagogue, bain rituel, école, hôpital, boulangerie…). Leur chronologie débute rarement avant le XIe siècle et l’occupation de ces lieux s’achève au rythme des expulsions européennes (1280 en Angleterre ; 1182, 1306 et 1394 en France ; 1492 en Espagne ; 1496 au Portugal ; 1501 en Provence). Les fouilles montrent des quartiers bien intégrés (Ratisbonne) permettant les échanges entre juifs et chrétiens, le « ghetto » comme espace clos n’apparaissant qu’en 1516 à Venise.
L’archéologie fournit de précieux renseignements sur l’architecture des synagogues médiévales (Londres, Guilford et Lincoln en Angleterre, Louvain en Belgique, Cologne, Spire, Worms, Ratisbonne et Erfurt en Allemagne, Vienne en Autriche, Buda et Sopron en Hongrie…). En Europe du Nord, elles sont rectangulaires et plus modestes que les églises, avec une salle à deux nefs séparées par deux ou trois colonnes. L’arche sainte est souvent matérialisée par une niche maçonnée dotée de portes en bois (Saint-Paul-Trois-Châteaux), mais il peut aussi s’agir d’un meuble précieux, parfois richement marqueté (Modène en Italie).
Les fouilles révèlent rarement des signes ostentatoires, mais la découverte à Rouen, en 1976, des vestiges d’un imposant bâtiment comportant des inscriptions hébraïques fournit l’exemple d’un édifice somptuaire. Et à Tolède, la colonnade aux arcs outrepassés de la synagogue « Santa-Maria la Blanca » (XIIe siècle) en fait l’un des plus beaux édifices de style mudéjar d’Espagne. Plus modeste, la synagogue de Lorca, dans la province de Murcie, mise au jour en 2003, est l’un des édifices remarquables de la place forte musulmane ; l’arche sainte y était décorée de stucs raffinés, à l’instar de la synagogue de Cordoue, édifiée en 1315.
Des bains rituels bien conservés ont été étudiés à Cologne, Constance, Spire et Worms en Allemagne, Limbourg aux Pays-Bas, Buda en Hongrie, Lorca en Espagne, ou Syracuse en Sicile, Cavaillon, Carpentras, Montpellier, Oloron-Sainte-Marie, Provins ou Pernes-les-Fontaines en France... Ces édifices, comportant un ou plusieurs bassins en sous-sol, sont souvent bien conservés car profondément creusés pour atteindre la nappe phréatique.
Dépouillés de leurs stèles funéraire, vendues à l’encan après les expulsions, les cimetières médiévaux seraient difficiles à caractériser si la toponymie n’en conservait le souvenir (Jewbury à York, Montjuich à Barcelone et Gérone, Champ des juifs à Ennezat près de Clermont-Ferrand…). Un rare ensemble de soixante-dix stèles découvertes à Paris en 1849 – aujourd’hui au musée d’art et d’histoire du Judaïsme (mahJ) – témoigne d’une communauté prospère.
À Châlons-en-Champagne, un cimetière de près de mille sépultures, repéré en 1994, indique la présence d’une population nombreuse renforcée par les expulsions du domaine royal en 1182 et 1306. Enfin, les violences envers les communautés juives sont parfois mises en évidence, comme à Tàrrega (Catalogne) où le fossar dels jueus renfermait plusieurs dizaines de corps mutilés au cours d’un massacre perpétré en 1348.
En 2012, à Dambach-la-Ville en Alsace, une genizah (entrepôt pour les ouvrages en hébreu devenus inutilisables) a été découverte fortuitement dans la synagogue. Riche de deux mille documents et objets du XIVe au XIXe siècle – langes de circoncision brodés, parchemins, papiers, livres de toutes sortes provenant d’Allemagne, de Hollande et d’Italie – elle témoigne de la circulation des hommes et des idées entre les communautés juives de toute l’Europe à l’époque moderne.
À Metz, des fouilles ont montré que les juifs consommaient du café (avec les chrétiens ?), un usage pourtant proscrit par certains rabbins, mais attesté dans la céramique retrouvée dans un dépotoir. Les assiettes comportant les inscriptions halav (lait) ou bassar (viande) y sont les rares éléments de culture matérielle spécifiquement juifs.
Au pays Basque français, subsistent les cimetières de communautés de marranos persécutés par l’Inquisition après les expulsions de la fin du XVe siècle et accueillis en France comme « nouveaux chrétiens ». À Bidache, leur nécropole a été en usage de 1620 à 1775. Les patronymes indiquent sans ambiguïté leur origine ibérique, mais il faut attendre 1659 pour trouver des prénoms judéo-espagnols, qui sont ensuite systématiques. Ces immigrés bien intégrés – la nécropole juive jouxte le cimetière chrétien et l’église – passent donc du crypto-judaïsme à une religion assumée à partir des années 1660, à moins qu’il ne s’agisse de la re-judaïsation de convertis.
La récente mise au jour, dans l’Hôtel-Dieu de Lyon, d’une crypte recelant des inhumations juives antérieures au XIXe siècle, rappelle que des juifs, malgré leur bannissement toujours en vigueur depuis l’époque médiévale, vivaient ou circulaient en France sous l’ancien Régime.
Encore balbutiante, l’archéologie de la période contemporaine concerne notamment l’étude et la préservation des cimetières et des bâtiments des communautés anéanties par la Shoah, en Europe centrale et orientale, dans les Balkans, en Allemagne ou dans l’est de la France. Des fouilles ont ainsi été menées en 1969, à Auschwitz II Birkenau, où l’on a exhumé dans les cendres des objets ayant appartenu aux défunts ; à Sobibor, des fouilles conduites de 2013 à 2015 ont permis de retrouver les fondations des chambres à gaz détruites par les nazis.
Des prospections pédestres ont permis de recueillir à même le sol des objets abandonnés lors des « marches de la mort » organisées en 1945. Enfin, des traces plus ténues ont été sauvegardées comme les graffitis du camp de Drancy ou les dessins des prisonniers du camp des Milles. Dans ces contextes, l’archéologie n’est pas seulement un outil de connaissance, c’est aussi une arme contre le négationnisme et l’oubli. Mais des camps d’internement français (Beaune-la-Rolande, Pithiviers…) ont été détruits sans étude préalable.
On voit ainsi que, pour la connaissance de la présence juive en Europe, l’archéologie est fondamentale car elle illustre des périodes mal documentées dans les archives textuelles. Elle apporte également des données qui illustrent l’évolution de pratiques religieuses souvent considérées comme immuables par référence aux usages actuels. Plus généralement, elle contribue à mettre en lumière la présence de communautés oubliées.
De ce point de vue, chaque découverte fait émerger localement une conscience de la « part juive » de l’histoire de l’Europe jusqu’ici pratiquement invisible pour les périodes anciennes, tant en raison de la rareté des vestiges que de l’impensé de la plupart des historiens. À l’heure où la tentation d’un repli idéologique sur les « racines chrétiennes de l’Europe » fait peser le risque d’une conception ethnico-religieuse, mythique et falsificatrice, de l’histoire du continent européen, ces découvertes sont à l’évidence essentielles.
Paul Salmona (musée d’art et d’histoire du Judaïsme, Paris).