Vendredi 22 novembre 2024
lundi 27 décembre 2021

Le quatrième rapport annuel de l’Église catholique de Belgique questionne le périmètre de ses activités

Pour la quatrième année consécutive, la Conférence épiscopale a publié fin novembre le rapport annuel de l’Église de Belgique. Élaboré par  Stéphane Nicolas et Jeroen Moens, en collaboration avec le professeur Wim Vandewiele (KU Leuven) et la professeure Catherine Chevalier (UCLouvain), ce rapport richement illustré porte sur l’année 2020. Comme les précédents, il s’inscrit dans une démarche d’information, notamment à travers les données chiffrées qu’il fournit, mais également de promotion de l’image d’une Église moderne et dynamique, via entre autres la présentation de ses nombreuses initiatives à caractère social qui mobilisent de très nombreux bénévoles.

Comme pour l’ensemble de la société, l’année 2020 a été marquée pour l’Église par la pandémie causée par le coronavirus SARS-CoV-2 et par la sévère limitation des activités qu’il a entrainée. En raison de la suspension des cérémonies cultuelles pendant le confinement puis de la limitation stricte du nombre de fidèles pouvant y participer, le rapport ne fournit pas, cette année, de données relatives à l’évolution de la pratique religieuse dominicale ou sacramentelle. Pandémie oblige, nombre de baptêmes, de communions et de mariages ont été reportés en 2020, tandis que les eucharisties diffusées à la télévision et à la radio ont logiquement connu de fortes hausses d’audience. 

Sans surprise, le nombre de visiteurs des lieux de pèlerinage accusent également une baisse sensible par rapport à 2019 (- 57 %), de même que celui des nuitées dans les centres de retraite et hôtelleries des monastères et abbayes (- 62 %). Dans les années à venir, il sera intéressant d’observer si les habitudes des fidèles sortiront de la pandémie durablement modifiées, ou si cette période n’aura constitué qu’une simple parenthèse. Rappelons à cet égard que les données publiées de 2018 à 2020 montraient une poursuite de la chute de la pratique religieuse dans notre pays.

Ce quatrième rapport de l’Église catholique de Belgique fournit toutefois des données chiffrées à propos des paroisses et des prêtres qui en ont la charge. En 2020, 33 paroisses ont été supprimées et 17 églises désaffectées (dont 2 ont été données à d’autres Églises chrétiennes). Le pays compte donc 3 705 paroisses, dont le regroupement en unités pastorales est en cours : à ce jour 349 unités pastorales ont été constituées sur les 519 prévues à terme. 

Le service de ces paroisses est assuré par 2 038 prêtres diocésains (en 2018, ils étaient encore 2 774) ; seuls 554 d’entre eux (27 %) ont moins de 65 ans. Ils sont épaulés par 389 prêtres venus d’autres diocèses et par 328 prêtres religieux, par 576 diacres permanents et par 2 489 laïcs nommés en paroisse ou disposant d’un mandat de l’évêque. On recense en outre 125 159 bénévoles actifs au niveau paroissial. Ces chiffres présentent l’image d’une Église belge où la figure du prêtre se fait rare, et où l’animation pastorale repose de plus en plus sur des laïcs, dont une forte proportion de femmes. Le rapport annuel paru en 2019 mettait d’ailleurs l’accent sur cette dimension de genre, exposant que 79 % des assistants paroissiaux et pastoraux étaient des femmes.

Le rapport rappelle également les chiffres de l’enseignement obligatoire, un secteur dominé par les établissements du pilier catholique : dans l’enseignement secondaire, 72,48 % des élèves néerlandophones et 59,98 % des élèves francophones fréquentent une école catholique. Dans un contexte où son avenir n’est plus assuré, Il insiste sur l’importance du cours de religion catholique, soulignant qu’il est suivi par près de 200 000 élèves dans l’enseignement officiel, dans tout le pays.

La présentation des activités diverses de l’Église met cette année l’accent sur les services rendus aux plus démunis dans un contexte de crise pandémique, et en cohérence avec les orientations du pontificat du pape François, dont l’encyclique Fratelli tutti, publiée le 3 octobre 2020, constitue un appel à la fraternité et à la solidarité. Il ne s’agit pas d’un recensement de toutes les activités déployées par l’Église : sans prétention à l’exhaustivité , le rapport présente des « exemples purement illustratifs ». 

En outre, les rédacteurs reconnaissent d’emblée que « la collecte systématique d’informations au sein de l’Église reste difficile.  […]  De plus, peu de mouvements ont l’habitude de tenir à jour les statistiques sur leur fonctionnement ». Et d’ajouter : « En ce qui concerne les nombreux bénévoles (nombre, heures prestées), on constate d’importantes lacunes. Si l’Église veut justifier sa pertinence sociale par des chiffres, des mesures doivent être prises pour corriger ces lacunes ». 

On perçoit ainsi que le rapport est également investi d’une mission de démonstration du rôle social rempli par l’Église, dans un contexte où l’on évoque de possibles restrictions prochaines en matière de soutien des pouvoirs publics. En effet, une nouvelle ordonnance limite déjà le financement des fabriques d’église en Région de Bruxelles-Capitale et la pérennité des cours de religion dans l’enseignement officiel  francophone ne paraît plus garantie, alors que le Parlement fédéral évoque à intervalles réguliers une possible inscription du principe de laïcité dans la Constitution.

Un chapitre du rapport est consacré aux animateurs pastoraux dans les établissements de soins : 550 aumôniers (68 %) et aumônières (32%) y sont actifs, aux côtés de 4 587 bénévoles. On recense par ailleurs 9 618 visiteurs des malades bénévoles dans les paroisses et les unités pastorales. Un autre chapitre est consacré aux personnes actives auprès des pauvres et des personnes vulnérables. Les initiatives présentées sont extrêmement diverses, depuis la vénérable Société de Saint-Vincent de Paul, qui compte plus de 300 sections locales et constitue le plus grand distributeur de moyens de subsistance en Belgique via le Fonds européen d’aide aux plus démunis et les banques alimentaires, jusqu’à l’initiative de l’Unité pastorale de Saint-Gilles, qui commercialise une bière solidaire, la biche de Saint-Gilles, pour venir en aide aux sans-abris.  

À la lecture du rapport se révèle ainsi une Église qui est aujourd’hui pour l’essentiel animée par des laïcs. Cette laïcisation est également perceptible dans les institutions. Ainsi, de nombreux hôpitaux généraux ou psychiatriques et des centres de soins, fondés par des congrégations religieuses, sont désormais gérés par des laïcs. Toutefois, un ancrage chrétien subsiste et est manifeste dans l’organisation des établissements de soins en réseaux. À Bruxelles et dans le Brabant wallon, quatre institutions d’obédience catholique se sont associées en janvier 2020 pour former un réseau hospitalier unique : la clinique Saint-Jean, les cliniques universitaires Saint-Luc, les cliniques de l’Europe et la clinique Saint-Pierre d’Ottignies. On sait qu’un an plus tard, un réseau « laïque » concurrent été mis sur les rails, regroupant quatre structures publiques (Saint-Pierre, Brugmann, Bordet et Iris Sud), les cliniques universitaires-hôpital Erasme et un hôpital privé, le Chirec. À l’instar de ce qui se produit dans la reconfiguration du paysage de l’enseignement supérieur, on aperçoit la persistance de logiques de réseaux sur la base des piliers chrétien et laïque historiquement constitués.

Le rapport présente également des organisations historiquement constitutives du pilier chrétien, mais dont on avait cru observer une forme de distanciation par rapport à l’Église. Il en est ainsi du Boerenbond, association socio-professionnelle de défense et de représentation des intérêts des agriculteurs (qui compte 13 864 membres en 2020) et des Landelijke Gilden, associations d’agriculteurs mais aussi de simples habitants de la campagne (qui totalisent alors plus de 60 000 membres). Ces associations organisent notamment des pèlerinages et chemins de croix, des prières de bénédiction pour les fruits de la terre et les moissons, des bénédictions de tracteurs et la célébration de la Saint-Éloi. 

L’inclusion de ces structures pose la question du périmètre de l’Église : quelles institutions font partie de l’Église catholique de Belgique et quelles institutions se situent à l’extérieur de celle-ci ? Entre une définition très restrictive qui n’engloberait que les paroisses, les évêchés et leur personnel, et une définition très large qui brasserait toutes les associations qui ont ou qui ont eu un ancrage ou une inspiration chrétienne, il y a une position intermédiaire qui consisterait à ne retenir que les organisations qui ont encore un lien organique avec l’Église à travers leur statut ou la composition de leurs organes dirigeants, à l’exclusion des structures qui sont simplement d’inspiration chrétienne. 

L’importance de clarifier cette question et d’y apporter une réponse cohérente est illustrée par l’inclusion du Poverello dans le rapport. Cette association d’aide aux démunis auxquels elle fournit repas et logement, s’est trouvée tout récemment sous les feux de l’actualité avec les révélations d’une enquête menée par la RTBF et les hebdomadaires Le Vif et Knack. On y révèle notamment que cette asbl dispose de fonds propres très importants, sans commune mesure avec la modeste activité d’aide aux démunis qu’elle déploie. Interviewé dans l’émission Investigation de la RTBF diffusée le 8 décembre 2021, Herman Cosijns, le secrétaire général de la Conférence épiscopale, a précisé que le Poverello était une instance indépendante qui n’avait rien à voir avec l’Église.

On le constate, le quatrième rapport annuel de l’Église catholique présente non seulement les activités de l’Église de Belgique, mais également, plus largement, celles de structures du pilier chrétien. Ce faisant, il illustre la pérennité de ce pilier, mais également la diversité et l’intensité des activités déployées en son sein, montrant du monde catholique une image dynamique et moderne, et permettant d’en démontrer l’utilité sociale, alors que l’accélération de la sécularisation et la baisse de la pratique religieuse peuvent alimenter des volontés de réforme du système de financement des cultes, ainsi que l’illustre une récente interview de l’évêque de Tournai Guy Harpigny (Le Soir, 14 décembre 2021).

Toutefois, ce choix comporte le risque de faire endosser à l’Église la responsabilité d’activités ou de choix sur lesquels elle n’a pas de contrôle direct ; il est également possible que la diminution du personnel, et en particulier du personnel ecclésiastique, ne permette plus à l’Église de contrôler ou de vérifier adéquatement les activités qu’elle « patronne » de la sorte. À l’avenir, l’élaboration de ce rapport annuel pourrait être l’occasion pour l’Église de réfléchir à la définition du périmètre des activités et organisations qui peuvent être considérées comme s’inscrivant en son sein.

Caroline Sägesser (CRISP-ULB).

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