Vendredi 22 novembre 2024
vendredi 4 novembre 2016

Religion et Politique : les élections présidentielles américaines de 2016

L’analyse du rôle du facteur religieux dans les élections présidentielles américaines de 2016 est contrastée. D’une part, une redéfinition des termes du débat politique substitue les questions économiques, terroristes et migratoires aux questions morales qui divisaient traditionnellement les partis démocrate et républicain. Ceci permet à Donald Trump d’échapper au carcan conservateur du G.O.P. et cantonne Hillary Clinton à une position défensive face à son rival. D’autre part, l’électorat religieux est toujours divisé entre les White Evangelicals, républicains, et les Black Protestants, Hispanic Catholics et non religieux, démocrates. La communauté musulmane, pour sa part, s’affirme progressivement comme une frange décisive – mais divisée – pour la candidate à la Maison Blanche.

L’élection présidentielle américaine de 2016 opposant la démocrate Hillary Clinton au républicain Donald Trump est exceptionnelle à maints égards : le nombre de candidats à la primaire républicaine a littéralement explosé, une femme représente pour la première fois un des deux principaux partis dans la dernière ligne droite de la campagne, la subtilité des attaques rhétoriques menées par l’un et l’autre camp à l’égard de leurs adversaires respectifs a suivi un nivellement par le bas, sans compter les enquêtes menées par le F.B.I. au sujet de la boîte mail privée de Clinton ni le désamour grandissant entre Trump et la majorité des médias américains. Ceci étant, cette campagne se distingue-t-elle également d’un point de vue religieux ? Autrement dit, le rôle traditionnellement joué par la religion dans les élections présidentielles américaines est-il lui aussi remis en question ?

Certes, les manifestations de la religion dans l’espace public sont légion de l’autre côté de l’Atlantique. Bien que la Constitution américaine reconnaisse la séparation des pouvoirs temporel et spirituel sur le plan institutionnel, les références à la transcendance divine (notons entre autres la prestation de serment sur la Bible lors de l’investiture présidentielle ou la traditionnelle formule « God Bless America ») font bel et bien partie du patrimoine culturel américain. Ces références prennent la forme d’une « religion civile » qui, si elle reste étrangère aux yeux de bon nombre d’Européens, unit tout autant qu’elle distingue les États-Unis depuis les origines du pays.

Ainsi, d’autres aspects de la perméabilité du politique à l’égard du religieux retiennent notre attention. Ceux-ci concernent à la fois le profil religieux des candidats démocrate et républicain, et le profil politique de l’électorat religieux américain.

Depuis les années 1960-1970, des questions morales comme l’avortement, le port d’arme à feu ou le mariage entre personnes de même sexe divisent les tenants d’une culture conservatrice aux partisans d’un libéralisme culturel. Peu à peu, ce clivage idéologique a trouvé une résonance politique auprès des partis républicain (conservateur) et démocrate (libéral). De manière informelle, le G.O.P. (Grand Old Party, acronyme du Parti républicain) a même transformé ce conservatisme moral en véritable critère décisif dans son soutien aux candidats à la présidence du pays.

Donald Trump est pourtant loin d’incarner cet idéal conservateur républicain : ses convictions religieuses restent incertaines, il en est à son troisième mariage et sa position pro-vie (à savoir contre l’avortement) actuelle contredit les propos pro-choix (pour l’avortement) tenus dans les années précédant sa candidature. Ce profil atypique a fait l’objet de nombreuses critiques au sein même du G.O.P. Ted Cruz en particulier, fils de pasteur et principal opposant de Trump durant les primaires républicaines, a décrié à de multiples reprises l’anti-conservatisme trumpien comme une menace à l’égard du parti. Ceci n’a pas empêché l’homme d’affaires new-yorkais d’obtenir son ticket pour la course à la Maison Blanche, défiant les obstacles les plus tenaces comme la ceinture biblique entre les États du Sud, traditionnellement plus conservateurs, et les États du Nord.

Ce succès s’explique par les centres d’intérêt du candidat républicain qui, à l’instar de la société américaine actuelle, se préoccupe plutôt de questions d’ordre économique, terroriste et migratoire. Donald Trump redéfinit le débat politique en termes identitaires et protectionnistes que résume son slogan de campagne « Make America Great Again! ». L’approche est résolument démagogique et centrée sur le nationalisme économique, ce qui le distingue une fois encore de son parti, celui-ci se positionnant en faveur du libre-échange.

La redéfinition des enjeux-clefs des élections présidentielles américaines marque une rupture par rapport aux campagnes des précédentes décennies, lors desquelles les questions morales étaient au cœur de la division politique du pays. Néanmoins, le troisième débat télévisé entre les deux candidats a fait resurgir les vieux thèmes de prédilection comme l’avortement. À cet égard, la position pro-choix d’Hillary Clinton confirme l’orientation idéologique libérale du Parti démocrate. Par stratégie électoraliste certainement, ses arguments sont toutefois plus modérés que ceux des fervents défenseurs d’un droit à l’avortement : elle se limite à défendre la nature privée d’une telle décision, sans chercher à dé-stigmatiser le recours à ce genre d’intervention.

La position pro-vie de Donald Trump s’avère elle aussi plus mitigée que celle de son propre camp : après avoir tenu des propos retentissants lors des primaires républicaines (pour rappel, le candidat avait considéré que les femmes concernées par une interruption volontaire de grossesse devraient être punies d’une façon ou d’une autre), il s’est contenté de défendre la sacralité de la vie de manière indirecte, appelant, en la matière, au pouvoir décisionnel individuel de chaque État et réaffirmant son intention de nommer des juges conservateurs à la Cour Suprême des Etats-Unis (ce qui pourrait entraîner un renversement de l’arrêt Roe v. Wade qui, depuis 1973, autorise les Américaines à recourir à l’IVG).

Enfin, notons que la réticence d’Hillary Clinton et de Donald Trump à s’engager pleinement dans un débat de nature morale et religieuse se trouve en porte-à-faux avec la position de leurs colistiers respectifs. Le démocrate Tim Kaine, catholique, ne s’est accommodé qu’en temps voulu des positions les plus libérales de son parti tandis que le républicain Mike Pence, protestant évangélique, s’oppose fermement à l’avortement et au mariage entre personnes de même sexe.

Plusieurs facteurs interviennent dans l’analyse du vote de l’électorat américain : le genre, la race ou encore… la religion. Des études menées par le Pew Research Center (organisme non partisan spécialisé, entre autres, dans les sondages d’opinion) révèlent que les élections présidentielles de 2016 présentent certaines continuités manifestes par rapport aux précédentes élections : les White Evangelicals voteraient toujours majoritairement pour le Parti républicain et le Parti démocrate attirerait toujours une frange importante des Black Protestants, Hispanic Catholics et non-religieux.

De subtiles transformations modifient néanmoins certains comportements. Par exemple, les White Evangelicals présentent une fracture entre la base (qui soutient Donald Trump) et ses dirigeants (qui se montrent plus sceptiques à l’égard du candidat républicain). Les Mormons témoignent également d’un certain désaveu à son égard, alors qu’ils se sont souvent ralliés à la cause républicaine. Par ailleurs, les croyants pratiquants (qui se rendent à l’église au moins une fois par semaine), eux aussi à tendance républicaine, sont plus divisés qu’auparavant. Quant à Hillary Clinton, sa dénomination religieuse de mainline Protestant lui pose des difficultés envers les White Evangelicals (qui la considèrent trop libérale) et les plus séculiers (qui considèrent tout engagement religieux déplacé dans le cadre des combats féministes modernes notamment).

L’élément particulièrement distinctif de cette campagne présidentielle concerne en réalité le vote des musulmans. Conservateurs sur les plans économique et moral, cette partie de l’électorat américain avait auparavant tendance à voter pour le Parti républicain. Les attentats du 11 septembre 2001, le discours du président George W. Bush à l’égard de la communauté musulmane ainsi que sa décision d’envahir l’Irak et l’Afghanistan ont par la suite incité ces citoyens à voter démocrate. Les propos de Donald Trump appelant à interdire les migrants musulmans sur le sol américain ne peuvent que confirmer cette tendance.

Hillary Clinton ne fait pour autant pas l’unanimité auprès de l’électorat musulman. En réalité, il lui préférait Bernie Sanders lors des primaires démocrates. Le candidat avait par exemple clairement abordé la question de l’occupation israélienne de territoires palestiniens. De plus, la population musulmane est politiquement moins active que le reste de la société américaine, et son soutien à la candidate démocrate reste limité — ce que le camp Clinton a bien compris, en témoigne la mise en place d’une équipe spécialisée pour faire campagne auprès de cette frange particulière des électeurs.

En conclusion, notons un sentiment de frustration au sein de la société américaine, dont le vote exprimera plus la contestation du candidat adverse que l’approbation du candidat choisi. Par ailleurs, méfions-nous des sondages d’opinion : s’ils permettent de comprendre certaines tendances antérieures aux élections, ils ne définissent en aucun cas le vote effectif des électeurs se rendant aux urnes. L’élément déterminant du résultat de cette campagne résidera dans le pouvoir mobilisateur des candidats et dans le taux de participation, qui serait actuellement favorable à Donald Trump.

Emilie Mondo (Université libre de Bruxelles).

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