Les manifestations spirituelles sans Dieu que sont les Sunday Assemblies partent du principe que dans une époque d’anomie ou le seul horizon de sens est accaparé par les religions établies, les hommes et les femmes ont plus que jamais besoin de retrouver le sens du lien social, de la communion, des rites. Dans le même temps, cette communion doit permettre de rassembler ceux qui ne croient pas, ou ne croient plus, et d’offrir des célébrations joyeuses sans référence aucune au divin. C’est ici la vie qui est célébrée, son unicité du fait de la conviction qu’il n’y a pas d’au-delà et pas d’horizon de salut qui tienne. « Good is Great » résume le slogan, qu’une seule lettre sépare du mantra de millions de croyants.
Culte hédoniste ou forme de spiritualité laïque, l’assemblée du dimanche lancée en janvier 2013 par deux comédiens britanniques, Sanderson Jones et Pippa Evans, et dont la vogue est sans conteste stimulée par l’effet viral des médias sociaux, alterne musique, karaoké de chansons populaires — et parfois un peu niaises, concédons-le —, lectures, réflexions et récitations, ainsi que des moments de méditation ou d’échange entre participants. Elle vise notamment, forte de la devise « Live Better, Help Often, and Wonder More » à rassembler, célébrer la vie et l’émerveillement de celle-ci, encourager la solidarité, le volontariat et l’action sociale.
C’est aux Etats-Unis que son succès est le plus fulgurant, là où une enquête récente du Pew Research Center a montré la progression spectaculaire et inédite de la désaffiliation religieuse et de l’incroyance. Un succès sans doute déterminé aussi par le fait que ces célébrations que nous dirions laïques, mais que les Américains qualifieront plus volontiers d’humanistes, permettent, dans un pays attaché à ses fondements religieux et au rôle social de la religion, de perpétuer les formes communautaires des cérémonies religieuses, débarrassées de ce qui paraît désormais archaïque et contraire à leurs convictions dans le chef des adeptes des Sunday Assemblies. Sanderson Jones et Pippa Evans ont d’ailleurs choisi, pour le jour et l’horaire des cérémonies, de se conformer au calendrier chrétien, manière — manifestement du moins — non de concurrencer les célébrations chrétiennes, mais plutôt de s’en inspirer — jusqu’à solliciter les participants par une quête et à afficher un certain esprit missionnaire —, de « conserver de bonnes habitudes » et de « tirer les athées hors de leur lit » le dimanche matin…
Sur les trente-cinq Sunday Assemblies qui le week-end dernier se sont ajoutées aux vingt-huit existantes, avec cette fois de nouvelles implantations en France, en Allemagne et en Belgique, l’une d’elle a vu la jour à Bruxelles. Abritée à l’ombre de l’Atomium, dans le bel espace du Magic Mirrors mis à disposition des organisateurs, l’assemblée y avait un caractère bon enfant, un brin naïf, un rien brouillon — mais c’était une première aussi. Elle ne se voulait ni athée militante, ni opposée à la religion, à laquelle aucune référence ne fut par ailleurs faite.
Menée par un animateur dynamique et avenant, venu du Royaume-Uni pour l’occasion — alors que le charismatique Sanderson Jones inaugurait dans le même temps l’assemblée parisienne, à proximité de la place de Clichy — elle accueillait quelques dizaines personnes, âgées en moyenne de 25 à 35 ans. Quoique les assistants fussent majoritairement néerlandophones, la célébration se voulait accessible à tous les Bruxellois, et donc multilingue : flamand, anglais et français, quoique l’anglais dominât. Des poètes et prosateurs vinrent y faire de brèves lectures de leurs textes, notamment le jeune poète et écrivain anversois Maarten Inghels, auteur des Lonely Funerals. Partager des histoires et des moments de vie, ritualiser cet échange, telle était manifestement l’intention des responsables de la première manifestation belge des Sunday Assemblies. Ils devront relever la gageure de renouveler la formule une fois par mois et, surtout, d’exister dans la durée.
Jean-Philippe Schreiber (ULB).