Lundi 25 novembre 2024
mercredi 28 septembre 2011

Religion et politique : des logiques structurelles foncièrement différentes

Le récent discours du pape Benoît XVI devant le parlement allemand sur l’éthique politique interpelle de nombreux observateurs. Certains éprouvent un vrai malaise face à ce qu’ils ressentent comme une ingérence de la religion dans les affaires politiques. Laissant ici les questions institutionnelles que pose l’événement, nous voudrions reprendre la question de la relation entre la religion et la politique en nous concentrant sur les logiques structurelles de ces deux systèmes.

La question de la séparation de l’Église et de l’État a fait couler beaucoup d’encre dans nos sociétés modernes qui, si elles conviennent généralement qu’elle est une condition à un vivre ensemble harmonieux, sont embarrassées quant aux moyens institutionnels à mettre en œuvre pour l’assurer. Certes, en théorie, la circonscription de la religion dans la sphère privée tandis que la politique se réserve la sphère publique est parfaite. L’histoire et l’actualité montrent que de l’idéal à la réalité, le chemin est long et semé d’embûches.

En fait, l’interpénétration entre les deux systèmes est difficilement réalisable. C’est une vision de l’esprit de croire que la religion ne concerne que la foi des croyants et qu’elle est un cheminement intime et personnel, individuel. Sauf quelques rares exceptions, les religions sont porteuses d’une vision du monde qui intègre leurs adhérents dans une filiation et une communauté qui, de ce fait, fonctionnent avec des normes et codifient les relations entre les individus et les groupes (ne serait-ce qu’en distinguant les profanes des porte-paroles de la parole sacrée, qu’ils soient sorciers, popes ou imams). Elles se doivent également de façonner et renforcer une identité forte. La communauté ainsi formée est obligée d’édicter des règles et des normes de vivre ensemble. Comment, alors pourrait-elle ne pas s’intéresser au domaine temporel (qui relève du monde matériel et, par extension, de l’organisation de la cité) ?

De son côté, le politique se passe difficilement du religieux. Il y va évidemment de raisons électoralistes, mais ce n’est pas tout. L’histoire comme l’actualité, encore une fois, montrent que le politique, pour assurer son autorité, en appelle volontiers au religieux qui lui offre toute une gamme de symboles, de récits et qui a une longue expérience dans le domaine de la mise en scène du pouvoir et de la réalisation d’événements qui visent à faire voir et faire sentir les liens qui unissent les membres de la communauté (pèlerinages, fêtes, etc.). Dans la plupart des sociétés, l’adhésios d’un homme politique à une religion est en plus perçue comme un gage de moralité — on pense par exemple à Georges W. Bush. Il semble d’ailleurs que dans nos sociétés occidentales industrialisées et sécularisées ce soient dans les matières morales et éthiques que les religions ont gardé la plus grande légitimité. Le monde laïque ayant des difficultés à parler d’une seule voix et à énoncer des discours univoques sur ces questions délicates, les croyants apparaissent comme une alternative bienvenue dans tous les débats qui concernent des domaines dans lesquels elles ont, depuis des siècles, produits des discours très construit : le sens de la vie, la sacralité du corps, l’inviolabilité de la vie, les fonctions de la procréation etc.

Pour toutes ces raisons, dresser la liste des compromissions de la religion avec la politique, et inversement, est fastidieux. On pourrait citer bien des exemples qui démontrent que la religion agit toujours comme auxiliaire des régimes forts : le Portugal de Salazar, les concordats des régimes fascistes avec le Vatican ou encore toutes les dictatures islamistes que compte le monde. Dans ce cas, la religion apparaît uniquement comme conservatrice du pouvoir. Mais c’est oublier des cas où elle joue un rôle de contre-pouvoir. On pense à la théologie de la libération ou encore au courant social-chrétien qui, dès le XIXe siècle, s’opposa au pouvoir au nom de son attachement à l’Église.

Au total donc, il serait faux de voir la religion comme un allié de la politique par essence. A cet égard, les analyses faites par Hobbes au XVIIIe siècle sont toujours d’actualité. Le philosophe montra en effet que la religion et le politique procèdent de deux logiques foncièrement différentes. Tandis que la religion est générée par un rapport entre personnes qui produisent un savoir sur des questions inconnues, le politique est entretenu par un ancrage cognitif de l’homme à un contrat politique qui lui garantit la paix sociale. Autrement dit, la religion se fonde et est reconnue sur ses vérités qu’elle énonce. En revanche, dès qu’un État tente d’asseoir sa légitimité sur des vérités, il risque de perdre en légitimité. L’État est construit sur un contrat de droit.

Nous l’avons dit, il est toujours tentant pour le pouvoir politique et le pouvoir religieux de mêler les genres pour essayer de renforcer leur légitimité. Ce qui est dangereux puisque d’une part les deux institutions en appellent à une croyance en des autorités différentes et d’autre part, elles forment une communauté différente : la communauté universelle des chrétiens versus celle de la nation. Ainsi donc, l’association entre la religion et la politique suppose toujours des aménagements de part et d’autre et peut mener à des effets non désirés, d’un côté comme de l’autre.

Cécile Vanderpelen-Diagre (ULB-CIERL).

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