Après divers aléas, l’idée d’organiser des élections au sein de la communauté musulmane toute entière s’est imposée à la fin des années 1990, selon un scénario à deux degrés : les fidèles éliraient au suffrage universel les membres d’une Assemblée, chargée de désigner les membres du futur organe représentatif du culte, l’Exécutif des Musulmans de Belgique. Ce système à deux degrés avait été prévu pour qu’un filtre vienne assurer la représentation des diverses tendances du monde musulman belge – et des femmes - au sein de l’Exécutif, mais aussi pour permettre à la Sûreté de l’Etat de vérifier les noms des candidats avant leur nomination à l’Exécutif. Quelque 45 000 musulmans votèrent aux élections de décembre 1998, et la première Assemblée des Musulmans de Belgique fut mise en place. Un des candidats présentés par l’Assemblée pour être membre de l’Exécutif fut rejeté par la Sûreté de l’État. Devant le refus de l’Assemblée de proposer un autre nom, c’est un Exécutif composé de seulement 16 membres au lieu des 17 prévus qui fut reconnu par les pouvoirs publics en mai 1999. En dépit de cette première difficulté, les autorités publiques mettaient de grands espoirs dans l’installation de l’Exécutif. L’État, qui jamais auparavant ne s’était autant impliqué dans la mise en place de l’organe représentatif d’un culte reconnu, en imposant ses exigences en matière de mode de désignation, de représentation de diverses minorités, et de niveau scolaire des membres de l’Exécutif, espérait avoir trouvé non seulement l’interlocuteur qui permettrait enfin de mener à bien la reconnaissance des mosquées et la prise en charge du traitement des imams, vingt-cinq ans après la reconnaissance du culte islamique, mais également une autorité morale susceptible de faire évoluer l’islam dans notre pays afin de constituer un islam « laïcisé » et émancipé de la tutelle des pays étrangers.
Mais l’Exécutif fut rapidement confronté à de grosses difficultés : des divergences internes vinrent compliquer un problème global de légitimité et de représentativité aux yeux de la communauté musulmane. L’Assemblée des Musulmans, dont on n’avait pas prévu qu’elle continuerait à jouer un rôle au-delà de la constitution de l’Exécutif, se considérant comme la seule instance véritablement représentative car démocratiquement élue, retira sa confiance à l’Exécutif et obtint sa démission. Bien que le ministre de la Justice l’ait refusée, l’Exécutif ne fut plus à même de fonctionner. On s’orienta progressivement vers la tenue de nouvelles élections : une loi votée en juillet 2004 mit sur pied une commission chargée de les organiser. Cette démarche unilatérale des pouvoirs publics suscita l’opposition de l’Exécutif en place et de certaines associations musulmanes. Divers recours en Justice contestèrent, en vain, la légitimité du processus électoral et l’ingérence des pouvoirs publics dans l’organisation du culte. Les élections de mars 2005 ne rencontrèrent pas le même succès que les premières et furent boycottées par une partie importante de la communauté d’origine marocaine. Le nouvel Exécutif rencontra rapidement la critique, sur base d’arguments déjà utilisés contre son prédécesseur : manque de représentativité et de leadership au sein de la communauté musulmane, perméabilité aux ingérences internationales, docilité face aux pouvoirs publics. Il parvint néanmoins à mener à bien la reconnaissance des premières mosquées dans les trois régions du pays, une tâche compliquée par la régionalisation partielle du temporel des cultes intervenue au 1er janvier 2002, et qui avait contraint l’Exécutif à traiter avec quatre interlocuteurs (les Régions et le SPF Justice), contre un seul précédemment.
En octobre 2007, l’Assemblée émit à nouveau un vote de défiance à l’égard de huit membres de l’Exécutif tandis que deux autres démissionnaient. Le ministre de la Justice, en charge des cultes, suspendit le paiement des subsides. En mars 2008, un nouvel Exécutif fut reconnu à titre intérimaire jusqu’au 31 mars 2009 ; cette reconnaissance sera ensuite prorogée à diverses reprises dans l’attente d’une proposition relative à la constitution d’un nouvel organe représentatif du culte islamique. Mais l’Exécutif ne parviendra pas à présenter une proposition unique aux autorités. Son mandat a pris fin le 31 mars 2011 et n’a pas été renouvelé. Devant la nécessité d’assurer la gestion des affaires courantes, l’arrêté royal du 28 août 2011 a confié cette tâche aux président et vice-présidents de l’Exécutif sortant. Sa validité a expiré le 31 décembre 2011, et il n’a pas été renouvelé. On est aujourd’hui devant un vide juridique, qu’il appartient au gouvernement dirigé par Elio di Rupo, mis en place le 5 décembre 2011, et à la nouvelle ministre de la Justice, Annemie Turtelboom, de combler.
Le vote de défiance de l’Assemblée des Musulmans de Belgique à l’égard des membres de l’Exécutif perçus par de nombreux observateurs comme progressistes, intervenu le 13 janvier 2011, est sans portée compte tenu de la fin de la reconnaissance de l’Exécutif comme organe représentatif par les pouvoirs publics. Tout au plus, constitue-t-il une indication supplémentaire de la difficulté de la tâche de reconstruction de la représentation du culte islamique à venir.
Caroline Sägesser (ULB).