Vendredi 22 novembre 2024

Résultats de la recherche pour : Jacques Déom

Il fut un temps où la Pologne était « un paradis pour les Juifs ». C’est le milieu du XVIe siècle, sous les règnes de Zygmunt Ier et Zygmunt II Auguste. Les trois-quarts peut-être des Juifs du monde de l’époque y résident. Le pays a accueilli massivement des expulsés d’Europe occidentale, notamment d’Espagne (1493), mais surtout d’Allemagne. Le judaïsme connaît l’apogée du système d’autonomie communautaire (le Kahal). Et sa culture atteint des sommets.

Chaos politique et haine des Juifs

1648 marque un coup d’arrêt à cet essor collectif. Le soulèvement des Cosaques, avec à leur tête Bogdan Chmielnicki, contre la noblesse polonaise se solde par l’assassinat de dizaines de milliers de Juifs (et de Polonais) dans ce qui est aujourd’hui l’Ukraine. Invasions des Russes, des Tatars de Crimée, des Ottomans, guerre désastreuse de la Pologne avec la Suède de Charles IX et épidémie de peste auraient coûté la vie à près d’un demi-million de Juifs et les appauvrit considérablement. Avec l’avènement de la dynastie saxonne (1697), ils perdent le soutien du gouvernement.

La tolérance d’antan disparaît et ils se retrouvent livrés à la haine croissante de la noblesse (szlachta), des bourgeois et des paysans. La situation n’est plus guère différente de celle qui prévaut en Europe occidentale. Expulsions des villes, pogroms généralement initiés par des marchands et artisans, attaques par des organisations étudiantes se multiplient au cours du XVIIe siècle. La Pologne glisse vers le désordre et l’anarchie. Elle finira par être la proie de ses puissants voisins russes, autrichiens et prussiens. Trois Partages (1772, 1793, 1795) dissèquent le pays. Le cœur du judaïsme mondial se trouve intégré à l’empire des tsars.

Dans la République de Pologne

Ce n’est qu’en 1918 que la Pologne regagne son indépendance. Guerre civile en Russie, guerre entre la Pologne et l’Ukraine et entre la Pologne et l’Union soviétique sont le contexte de divers pogroms. Des dizaines de milliers de réfugiés affluent, notamment d’Ukraine où, au cours de la Guerre civile, les exactions antijuives ont fait près de 30.000 victimes directes. L’instabilité économique du pays favorise les comportements antisémites : discrimination, expulsions, haine médiatique, violence dans les universités, création par les partis d’extrême droite d’ « escadrons antijuifs ».

La mort de Józef Piłsudski sera vécue comme une catastrophe par bien des Juifs. Son régime (1926-1935) s’oppose en effet résolument à l’antisémitisme en donnant le pas à l’« assimilation à l’État » au détriment de l’« assimilation ethnique » prônée par l’Endecja (extrême droite nationaliste). Ce parti gagne alors en popularité. Émeutes antijuives, ségrégation sur les bancs de l’école, heurts sur les terrains de sport en sont la rançon. Un numerus clausus plus ou moins officiel introduit en 1937 réduit drastiquement le nombre de Juifs à l’université : en 1928, la population juive y fournissait 20,4 % des effectifs ; en 1937, la proportion est tombée à 7,5 %. Une série de syndicats et d’unions professionnelles (médecins, juristes...) intègrent à leur charte des « clauses aryennes » qui excluent les Juifs. Ceux-ci se voient interdire de fait l’accès à la fonction publique.

Les années d’avant la tourmente

Les années qui précèdent la Seconde Guerre mondiale marquent la phase culminante des sentiments antijuifs dans la population polonaise. Entre 1935 et 1937, 79 Juifs sont tués et 500 blessés dans des exactions antijuives. Endecja prône le boycott des commerces juifs au profit des « magasins chrétiens ». Le cumul des effets de la Grande Dépression et du pillage des commerces juifs entraîne l’appauvrissement radical d’une communauté juive par ailleurs bien moins intégrée à la population globale que ce n’était le cas en Europe occidentale.

Préjugés religieux médiévaux ardemment entretenus par le clergé catholique (jusqu’à l’accusation de « meurtre rituel ») et stéréotypes ultranationalistes (déloyauté des Juifs vis-à-vis de la nation polonaise) sont suffisamment actifs pour que beaucoup de Polonais chrétiens estiment excessivement nombreux les Juifs de Pologne. Et que le milieu politique, confronté à cette « question juive » ait envisagé l’hypothèse de leur émigration en masse...

Un pays « vide de Juifs »

On comptait 3.474.000 Juifs en Pologne au 1er septembre 1939. Lorsque prend fin la Seconde Guerre mondiale, la presque totalité du judaïsme polonais a disparu dans la Shoah.

À Kielce, le 4 juillet 1946, suite à des accusations d’enlèvement d’enfants et de « meurtre rituel », la populace, aidée de militaires et de policiers, massacre 39 Juifs et en blesse 40 autres.

Jacques Déom (ULB).

Publié dans L'antisémitisme

Fondés par des Européens fuyant l’intolérance politico-religieuse de l’Europe, les États-Unis d’Amérique n’échappent pas pour autant au lourd héritage de la haine des Juifs. Non que celle-ci ait jamais présenté la même envergure ou le même caractère oppressant que sur le vieux continent. Mais l’immigration juive en provenance de la Zone de Résidence de l’empire tsariste se fait massive après les pogroms de 1881.

Les tristes échos du Vieux Monde

La mobilité sociale du groupe juif, remarquable dans un pays neuf où la compétition est extrêmement vive, réveille les mouvements populistes, qui surestiment par exemple de manière fantasmatique l’importance de la banque juive, censée accaparer l’économie de l’Union. Dès le début du XXe siècle, les Juifs connaissent des discriminations à l’emploi, se voient interdire l’accès à certaines zones résidentielles et à certains clubs et organisations. Si bien que l’Anti-Defamation League voit le jour en 1913 pour combattre cette montée de haine.

Elle vient à son heure :

-     - L’identification des Juifs aux bolcheviques qui renversent en 1917 le régime tsariste, la montée dans les années 20 de l’organisation raciste du Ku Klux Klan alertent la communauté juive.

- Le numerus clausus frappe étudiants et professeurs juifs dans de grandes universités comme Harvard, Columbia, Cornell ou Boston.

- Ce sont essentiellement les candidats juifs à l’immigration que les quotas restrictifs de la loi de 1924 ont pour effet de frapper, sans toutefois les viser explicitement.

Démagogie et religion dans l’entre-deux-guerres

Dans les années 30 et 40, les sondages révèlent que près de la moitié de l’opinion américaine considère les Juifs comme malhonnêtes et avides. Et certains rêvent de remèdes drastiques à leur présence.

-    - La démagogie d’extrême droite les accuse d’être à l’origine de la Grande Dépression, de dominer l’administration Roosevelt et sa politique du New Deal (le « Jew Deal »), d’entraîner le pays dans la guerre avec une Allemagne nouvelle que d’aucuns à droite de l’échiquier politique tiennent pour exemplaire à bien des égards.

- Faisant fond sur la donnée religieuse inhérente à l’imaginaire civique américain, divers prêcheurs fanatiques (le catholique Charles Coughlin par exemple) font du christianisme un élément sine qua non de l’identité nationale.

- Le pionnier de l’industrie automobile Henri Ford propage activement l’antisémitisme dans la presse qu’il dirige, où il n’hésite pas à rééditer les Protocoles des Sages de Sion.

- Charles Lindbergh, le premier aviateur à avoir traversé l’Atlantique, prête son immense prestige à la dénonciation de l’emprise des Juifs sur la politique du pays, tandis que des mouvements pronazis donnent de la voix.

La libre Amérique au temps de la Shoah

C’est ce contexte qui, au-delà des justifications – attendues – par la dureté économique des temps, rend compte du peu d’empressement à accueillir les réfugiés fuyant le nazisme.

-  --Les quotas d’immigration, pourtant restrictifs, ne seront même pas remplis et, en termes absolus, les États-Unis recevront dans les années de guerre moins d’immigrants juifs que la Suisse. En 1939, on renverra ainsi à un destin incertain en Europe le paquebot Saint-Louis, parti de Hambourg avec 936 réfugiés, allemands pour la plupart.

- Alors même que la Shoah ravage le monde juif sur le vieux continent, une centaine d’organisations antisémites insufflent la haine des Juifs dans le public américain. Des cimetières et des synagogues sont vandalisés à New York et Boston.

- Au plan politique, les obstacles bureaucratiques à l’immigration seront délibérément multipliés. Ce n’est qu’en janvier 1944 que sera instauré, par décision du président Roosevelt, le War Refugee Board, avec pour mission l’aide aux victimes de l’oppression nazie. Combien de milliers de Juifs ont payé de leur vie cet immobilisme ?

Des années 50 à la guerre d’Irak

L’après-guerre voit décliner, mais certainement pas disparaître, l’antisémitisme.

-  Les chapelles néo-nazies restent extrêmement actives (promues par exemple, dans les années 50-70, par une organisation comme le Liberty Lobby de Willis Carto). Les skinheads néo-nazis prolifèrent dans les années 80-90.

- En 1979 est fondé en Californie l’Institute for Holocaust Research, qui s’attache à prouver « scientifiquement » que la Shoah n’est qu’une imposture qui ouvre aux Juifs un crédit illimité sur le sentiment de culpabilité de la nation.

Les Juifs et les Noirs

Par ailleurs, l’appui massif des Juifs à la cause des droits civiques pour les Afro-Américains dans les années 50 n’empêche pas des frictions continuelles entre les deux communautés, surtout quand voit le jour, sur fond de conflit israélo-palestinien, une forme d’islam local qui fournit aux yeux de certains un élément déterminant dans la construction de l’identité noire. Nation of Islam est certainement l’une des raisons majeures de l’inquiétude des Juifs américains. Son principal leader, Louis Farrakhan, a multiplié, entre autres invectives dirigées contre « les Blancs », les déclarations virulemment antisémites et révisionnistes.

L’impact du Proche-Orient

Enfin, aux États-Unis comme ailleurs, la situation au Proche-Orient n’a pas manqué de fournir la matière à un « New Antisemitism » où se rejoignent extrême gauche, extrême droite et islam radical : sous couleur de dénonciation du « sionisme », ce sont les Juifs en général qui se trouvent ciblés. Et les engagements de George W. Bush dans la guerre d’Irak ont ranimé chez certains politiciens conservateurs une rhétorique qui, à l’occasion, rappelle étrangement celle qu’on entendait dans les années 40 et qui faisait des États-Unis l’otage des Juifs dans une guerre menée contre les intérêts du pays...    

Jacques Déom (ULB).

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L’appréciation de la place que tient la haine des Juifs en milieu musulman soulève aujourd’hui d’âpres controverses. Entre une vision résolument optimiste, qui tend à exonérer dans l’ensemble la sphère politico-culturelle musulmane des pires taches qui ternissent en la matière le monde chrétien – c’était notamment l’approche de savants juifs du XIXe siècle, paradoxalement recyclée aujourd’hui... par l’arabo-islamisme – et une approche plus attentive aux discriminations et tueries dûment attestées par la documentation, mais minimisées par les islamologues classiques, le risque est grand d’imposer le choix entre une histoire « édénique » et une autre « lacrymale », également tendancieuses.

Dhimmitude  

Rien ne semble en tout cas rappeler, dans l’islam prémoderne, la démonisation du Juif qui domine l’imaginaire dans le monde chrétien contemporain : pas d’accusation d’empoisonner les puits ou de répandre la peste, ni mythologie du « Juif éternel ». Rien, surtout, qui véhicule une charge émotionnelle et symbolique comparable à celle de l’épouvantable accusation de déicide. Il faut certes compter avec la lourde accusation théologique d’avoir falsifié la Révélation.

Mais, dans le vaste empire musulman, la dominante pourrait bien être le mépris du dominant pour le dominé, avec sa traduction institutionnelle : le statut de dhimmi imposé aux Juifs. En retour de la protection de l’Ummah islamique, le minoritaire « protégé » paie une taxe spécifique, la djizia ; les autres taxes qu’il doit acquitter sont majorées ; parfois il lui est imposé de se vêtir de manière spécifique ou interdit d’accéder à certains emplois publics ; il ne peut porter les armes, monter à cheval ou témoigner en justice quand des musulmans sont impliqués ; des restrictions peuvent frapper l’entretien ou la construction de synagogues ; le Juif ne peut porter de nom arabe ou étudier le Coran.

Dans la pratique, la condition socio-économique des Juifs varie selon les lieux et les époques. Ils sont relativement libres de choisir profession et lieu de résidence. C’est ainsi que le confinement des Juifs au mellah (ghetto) n’est pas, au Maroc, antérieur au XVe siècle et ne se généralisera qu’au début du XIXe. Les califes de la dynastie égyptienne des Fatimides d’Égypte (Xe-XIIe siècles) passent pour leur avoir été favorables. Et non moins accueillant fut l’empire ottoman, le plus grand État musulman que l’histoire ait connu (1299-1922).

Les ambiguïtés d’Al Andalous

L’Espagne médiévale sous domination musulmane – Al Andalous – incarne exemplairement l’ambiguïté de la situation des Juifs en terre d’islam. Conquise à partir du VIIIe siècle, elle n’est totalement rechristianisée qu’avec la chute de Grenade, au terme de la Reconquista, en 1492. Elle a été indûment mythifiée, au point que d’aucuns n’hésitent pas à la présenter aujourd’hui comme un modèle de tolérance, si ce n’est comme une anticipation de la société “multiculturelle”. De fait, elle se signale, pour ce qui est du judaïsme, par une exceptionnelle créativité sociale et culturelle, à telle enseigne qu’on a pu l’évoquer en termes d’« Âge d’Or ».

Il s’en faut pourtant que les relations avec les maîtres musulmans y aient été iréniques : un pogrom éclate à Cordoue en 1011, un autre à Grenade en 1066 (le vizir juif Joseph ibn Nagrela est crucifié et 4.000 de ses coreligionnaires massacrés). La dynastie des Almohades, qui domine de son islam messianique et militant le Maghreb et l’Andalousie (1147-1269), fournit une exception majeure au libéralisme musulman supposé à date ancienne : en 1165, un édit impose aux Juifs le choix entre la conversion et la mort. Le grand philosophe, juriste et médecin Maïmonide (1135-1204) sera contraint à feindre la conversion et à prendre la fuite. C’est au même qu’on doit une Lettre au Yémen, où il livre aux Juifs de cette région, eux aussi soumis à la persécution, ses réflexions et directives. Les manifestations littéraires d’antisémitisme ne manquent pas : des Xe et XIe siècles date une propagande qui présente les Juifs comme des êtres fourbes, oppresseurs et exploiteurs des musulmans, qui se solda en Égypte par des morts nombreux.

À l’écoute de l’Europe

Le rôle de l’influence occidentale dans la genèse de l’antisémitisme moderne en pays d’islam n’est pas discutable. C’est dans le sillage de l’expansion coloniale européenne du XIXe siècle, avec son cortège de pratiques politiques, commerciales et missionnaires, que s’insinuent nombre d’idées antisémites – à l’instar d’autres concepts modernes. Le truchement des Arabes chrétiens d’orientation nationaliste aurait été crucial dans ce processus d’acclimatation, qui se nourrira de la rivalité des nationalismes juif et arabe et ne parviendra à maturité qu’avec la naissance du conflit arabo-israélien.

Déjà l’Affaire de Damas (1840) présente une coloration « occidentale » : lorsqu’un moine italien et son serviteur disparaissent, des Juifs de la ville sont accusés de « crime rituel » et déclarés coupables. Divers consuls occidentaux sont impliqués dans la polémique, autant que des acteurs locaux. En découle une série de pogroms au Proche-Orient et au Maghreb. La seconde moitié du siècle et le début du XXe seront d’ailleurs émaillés d’autres massacres de Juifs dans la région. C’est ainsi que le quartier juif de Fès (Maroc) est quasiment détruit par la populace en 1912.

Antisémitisme et nationalisme

La montée, puis l’accession du nazisme au pouvoir en Allemagne a des incidences directes sur les pogroms en Algérie dans les années 30, et les attaques qui visent les Juifs d’Irak et de Libye au cours de la Seconde Guerre mondiale (180 Juifs sont massacrés et 600 blessés par des musulmans pronazis à Baghdad en juin 1941). Une indéniable sympathie pour Hitler a gagné dès 1933 nombre d’Arabes, qui aperçoivent dans son éventuelle victoire la possibilité d’une promotion du monde musulman. Des partis politiques marqués par l’idéologie nazie voient le jour, qui resteront influents au lendemain de la guerre.

Mohammad Amin al-Hussayni, grand mufti de Jérusalem, cherche à créer avec le Führer (qui le recevra à Berlin le 30 novembre 1941) une alliance contre les Juifs : antisémitisme et nationalisme sont aux sources de son projet d’ « élimination d’un foyer national juif ». Il est impliqué entre autres dans le recrutement de musulmans bosniaques dans plusieurs divisions de Waffen SS. Mêmes sympathies fascisantes en Irak (coup d’État de Rashid Ali et pogrom à Baghdad en 1941), en Iran (Reza Shah Pahlavi), en Égypte (Jeune Égypte, fondé en 1934 par Ahmad Hussayn ; le courant nationaliste). Bien qu’ils s’en défendent, l’Égypte, la Syrie et l’Iran ont donné asile après la Seconde Guerre mondiale à des criminels de guerre nazis.

L’« antisionisme » arabo-musulman applique dans ce contexte la panoplie des pratiques connues par l’antisémitisme européen. Dès les années 30, on peut relever, de l’Irak au Maroc et du Yémen à la Syrie, nombre de cas où les Juifs sont frappés de perte de la nationalité, d’incapacités juridiques, de mesures diverses d’isolement des personnes, de spoliation économique, de discriminations socio-économiques, quand ils ne sont pas victimes d’une violence physique, qu’elle prenne la forme du pillage, de l’assassinat individuel ou du pogrom (Constantine, Algérie, 5 août 1934 : 27 morts ; Tripoli, Libye, janvier 1945 : 135 morts...).

Les heurs et malheurs du nationalisme arabe, de ses pratiques et de ses mythes constituent l’arrière-plan de cette massive absorption de conceptions en provenance d’Europe, qui se marient avec plus ou moins de cohérence avec les données héritées du passé musulman prémoderne. Que la lutte contre l’Europe colonialiste ait cru nécessaire d’emprunter à celle-ci quelques-unes de ses obsessions et pratiques les plus nauséeuses est en soi révélateur de la profonde crise d’identité du monde musulman.

L’utopie islamiste

Prospérant aujourd’hui sur le terreau de l’échec des États nés de la décolonisation à arracher leur population à la misère économique, au sous-développement politique et culturel et au doute qui les taraude quant à leur avenir, l’islamisme invoque une utopie réactionnaire fondamentaliste – un islam pur des origines – comme solution à l’impasse que connaît l’islam, exportable par la « guerre sainte » (Jihâd) à l’ensemble du monde musulman, en ce compris les banlieues des grandes villes occidentales. Dans cette idéologie englobante, l’État d’Israël, mais aussi immanquablement à sa suite « les Juifs » dans leur ensemble, sont résolument arrachés à leur réalité empirique pour renouer avec leur statut fantasmatique – en quelque sorte métaphysique – de cause du Mal. Ce statut métapolitique, déréalisé, imposé aux Juifs est à la racine de tous les délires antisémites que dégorgent à foison nombre de sites internet, blogs et média dans le monde musulman, tout autant que la rhétorique de mouvements politiques tel le Hezbollah ou d’un État comme l’Iran.

Jacques Déom (ULB).

Publié dans L'antisémitisme

L’antisémitisme a produit une ample littérature, dont le plus gros est fait de pamphlets minables de tonalité odieuse, d’ouvrages perversement pseudo-scientifiques, de fictions plus ou moins délirantes. Dans cet océan de médiocrité haineuse, certains titres ne manquent jamais d’attirer l’attention : les Protocoles des Sages de Sion ou Mein Kampf, par exemple, jouissent d’un succès durable, à en juger par le nombre de leurs rééditions et des traductions auxquelles ils donnent lieu.

On voudrait croire clos sur lui-même ce sinistre corpus et la « grande littérature », celle que produit la haute culture, puisant aux sources vives de la séculaire créativité occidentale, intouchée par ce qui l’inspire. Ce serait sous-estimer naïvement l’emprise profonde du « code culturel » que constitue l’antisémitisme, y compris sur des écrivains dont personne ne songe à nier le talent, si ce n’est le génie. Des œuvres centrales de la littérature contemporaines sont plus ou moins profondément marquées par la haine des Juifs. D’où le malaise persistant que suscite par exemple, dans l’univers francophone, un Louis-Ferdinand Céline (1894-1961).

L’inoubliable auteur du Voyage au bout de la nuit l’est également de l’immonde Bagatelles pour un massacre. Et si l’on peut lire le premier titre dans l’édition de prestige de la Bibliothèque de la Pléiade des éditions Gallimard, on n’y trouvera pas le second, alors que rien n’autorise à supposer que les deux textes relèvent dans l’esprit de leur auteur de registres différents. Sans présenter les mêmes traits délirants, les romans de Georges Simenon (1903-1989) ou le théâtre de Michel de Ghelderode (1898-1962) laissent transparaître leur antipathie pour les Juifs. Il en va de même d’une étoile de première magnitude de la littérature anglaise comme Thomas S. Eliott (1888-1965). Quant au poète Ezra Pound (1885-1972), à qui l’on doit une influente critique littéraire et de révolutionnaires Cantos, ses diatribes profascistes et antisémites sur les ondes de la radio italienne du temps de Mussolini lui vaudront d’être le seul Américain condamné pour crime de guerre, puis interné comme aliéné...

Jacques Déom (ULB).

Publié dans L'antisémitisme

Études

(Coll.) L’Allemagne nazie et le génocide juif. Colloque de l’École des Hautes Études en Sciences sociales, Gallimard – Le Seuil, Paris, 1985.

(Coll.) L’antisémitisme après la Shoah, Espace de libertés – La pensée et les hommes, Bruxelles, 2003.

(Coll.) Dictionnaire de la Shoah, Larousse, Paris, 2009.

(Coll.) Judaïsme, christianisme, islam. Le judaïsme entre « théologie de la substitution » et « théologie de la falsification », Actes du Colloque tenu à l’Institut d’Études du Judaïsme (ULB) les 23, 24 et 25 septembre 2008, Didier Devillez – Institut d’Études du Judaïsme, Bruxelles, 2010.

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Ringelblum (Emmanuel), Chronique du ghetto de Varsovie, Payot, Paris, 1995 ; Archives clandestines du ghetto de Varsovie. Vol. 1 Lettres de l’anéantissement ; Vol. 2 Les enfants et l’enseignement, Fayard, Paris, 2007.

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Photographies

Klarsfeld (Serge) – Marcello Pezzetti – Sabine Zeitoun (éds.), L’Album d’Auschwitz, Al Dante – Fondation pour la Mémoire de la Shoah, Paris, 2005.

DVD

Jaubert (Alain), Auschwitz. L’album, la mémoire, Éditions Montparnasse, Paris, 2005 (avec des documents des archives filmées américaines).

Lanneau (Hugues), Modus operandi, Les Films de la Mémoire, Bruxelles, 2007.

Lanzmann (Claude), Shoah, Fondation pour la Mémoire de la Shoah, Paris, 2002 (coffret DVD et texte).

Rossif (Frédéric), De Nuremberg à Nuremberg, Éditions Montparnasse, Paris, 2004.

Publié dans L'antisémitisme
mercredi, 28 mars 2012 20:53

L'antisémitisme (1/16) : Introduction

L’antisémitisme a fait et continue de faire l’objet, sur ses formes d’autrefois comme sur ses avatars présents, d’innombrables études, parfois fort érudites. Leur volume est de nature à décourager ceux qui recherchent prioritairement une approche synthétique.

Par ailleurs, dans sa compréhension même, il soulève nombre de questions, sinon de polémiques. Comment rendre compte de la dynamique qui génère au cours des siècles des formes de haine diverses – dont les structures peuvent sembler mutuellement incompatibles – à l’égard d’un peuple dont l’identité a elle-même connu des mutations dramatiques ?

On ne se flattera évidemment pas d’avoir répondu à cette épineuse, et peut-être insoluble, question. Il nous a semblé que resituer le phénomène dans l’histoire générale et montrer qu’on doit le saisir au cœur des enjeux essentiels à chaque phase constitutive de celle-ci permettait à tout le moins d’en appréhender le caractère profondément significatif et, pour tout dire, la cohérence. L’antisémitisme n’est pas seulement, comme toutes les autres formes de racisme d’ailleurs, une somme de poussées de haine conjoncturelle. Il a partie liée avec la faille identitaire qui taraude nécessairement toute société. Tenter de préciser – ne serait-ce que dans les grandes lignes – les modalités européennes de ce mal-être, c’est appeler à une compréhension qui laisse mesurer la véritable ampleur du problème et se refuse à réduire à quelques slogans aussi bien-pensants qu’inopérants la thérapie qu’il requiert.

Comprendre n’est pas admettre. Si l’on veut déjouer le piège de la haine, il convient de voir posément d’où elle naît. Cette prise de conscience est l’une des tâches majeures qui incombent – dans notre société de jour en jour plus « multiculturelle » – à ceux qui forment les citoyens de demain. Ce dossier voudrait les aider à poser clairement quelques jalons. Il ne saurait évidemment nourrir l’ambition de tout dire.

Jacques Déom (ULB).

Publié dans L'antisémitisme
mercredi, 14 mars 2012 15:52

Quand notre monde est devenu chrétien

La conversion de Constantin engage l’Empire romain sur la voie de la christianisation. Manœuvre idéologique ? Confusion pseudo-mystique ? Non, répond Paul Veyne : acte de foi d’un grand politique. Le 28 octobre 312, Constantin écrasa son rival Maxence au terme d’une bataille menée non loin du pont Milvius, dans les faubourgs de Rome. L’épisode aurait pu ne fournir qu’une ligne de plus sur la liste lassante des empoignades entre militaires au fil desquelles le pouvoir suprême sur l’État romain, faute d’avoir jamais réussi à se fixer des règles de dévolution, était condamné à se voir réattribuer régulièrement par la fortune des armes. N’était que le vainqueur vit dans son succès le signe éclatant du bien-fondé de sa toute fraîche adhésion à la foi des chrétiens.

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