La réforme du contenu des cours devrait s’accompagner d’une réforme de la formation des enseignants, qui seraient à l’avenir obligatoirement porteurs d’un titre pédagogique, et d’une réforme de l’inspection. En effet, aujourd’hui, la nomination tant des enseignants que des inspecteurs de religion, leur formation ainsi que le contenu des programmes sont largement sous le contrôle des seules autorités religieuses. Cette proposition pourrait débloquer une situation figée depuis le Pacte scolaire (1958) et pour laquelle, en dépit de maintes propositions formulées depuis 20 ans, aucune évolution n’a pu être mise en œuvre jusqu’ici. Elle a en outre l’avantage de ne pas réclamer de modification de la législation, et de pouvoir s’effectuer à coût budgétaire constant et sans pertes d’emplois.
Cependant, elle n’apporte pas de solution aux problèmes pratiques que pose l’organisation des cours de religion et de morale, qui se traduit souvent par un véritable casse-tête pour les directeurs d’école dans le réseau officiel. Rappelons qu’en Communauté française le choix est offert entre six cours (religion catholique, protestante, orthodoxe, israélite et islamique ou morale non confessionnelle) et qu’un cours est organisé dès le moment où un seul élève le réclame ; dans les autres pays qui connaissent un tel système pluriconfessionnel, un nombre minimum d’élèves (souvent 5) est logiquement imposé.
Plus fondamentalement, la proposition ne change rien à la séparation des élèves selon leurs convictions religieuses ou philosophiques (ou celles de leurs parents) pour le seul cours où seront abordées des questions fondamentales relatives aux valeurs et à la citoyenneté. Il y a cinquante ans, quand le Pacte scolaire a été mis en œuvre, la société belge était encore traversée par le clivage fondamental entre catholiques et anticléricaux. Une solution qui permettait aux uns de recevoir un enseignement proche du catéchisme, et aux autres d’y échapper, pouvait paraître satisfaisante, sachant que de toute façon les uns comme les autres baignaient dans un substrat culturel marqué par le catholicisme. On y adhérait, ou on s’y opposait, mais on se définissait de toute façon par rapport à lui.
Aujourd’hui, la sécularisation est intervenue, et la société est devenue multiculturelle et multiconfessionnelle. Un système qui respecte les convictions des familles, mais qui ne permet pas à leurs enfants d’acquérir une connaissance et une expérience de toutes les traditions religieuses et philosophiques représentées dans la société dans laquelle ils vont devoir s’insérer, n’est sans doute plus adapté à la réalité d’aujourd’hui.
Trop timide sans doute, le projet de réforme Simonet ne semble pas à même de réunir un large consensus. Le CEDEP (Centre d’étude et de défense de l’école publique) s’est prononcé dans un communiqué du 26 avril en faveur de « la suppression du caractère obligatoire des cours dits « philosophiques », et d’un renforcement de la formation citoyenne, destinée à tous les élèves, qui se fonde sur une approche philosophique et sur une connaissance historique des religions et des mouvements de pensée non confessionnels permettant aux élèves d’exercer librement leur esprit critique ». Il se rapproche ainsi de la proposition défendue en Flandre par l’asbl LEF (Levensbeschouwingen, ethiek, filosofie) depuis 2011, et qui a reçu le soutien d’intellectuels issus tant du monde catholique que du monde laïque (De Morgen, 30 novembre 2011).
Les partis autrefois laïques, le Parti socialiste (PS) et le Mouvement réformateur (MR), dont certains membres s’étaient initialement prononcés en faveur du projet de la ministre, sont aujourd’hui divisés. La situation est particulièrement délicate au sein du PS, qui est le partenaire du CdH au sein de la coalition gouvernementale. Il faut cependant remarquer que la réforme du programme des cours de religion peut parfaitement s’effectuer en dehors de toute intervention du législateur. Si les organes représentatifs des différents cultes s’accordent, et il semble que cet accord soit acquis, le tronc commun peut être intégré dans les programmes de chacun. Cette évolution, si elle a lieu, ne dispensera pas de poursuivre la réflexion autour d’une réforme plus fondamentale de l’organisation de ces cours dits philosophiques, dans un contexte où l’évolution d’un enseignement de la religion vers un enseignement du fait religieux est à l’agenda dans plusieurs pays européens.
Caroline Sägesser (ULB).