Depuis 2002, les Régions sont compétentes pour la reconnaissance et le financement des communautés locales. En cette matière, il y a aujourd’hui deux enjeux essentiels : la reconnaissance des nouvelles communautés islamiques, et la rationalisation des lieux de culte catholiques, devenus trop nombreux pour les besoins de l’Église, vu la diminution des fidèles. La Région flamande a adopté dès 2005 des critères de reconnaissance pour les nouvelles communautés, en ce compris des exigences relatives à l’emploi du néerlandais, à l’obligation d’intégration civique (inburgering), et au respect de la Constitution belge et de la Convention européenne des Droits de l’Homme.
Toutefois, l’accord de gouvernement 2019-2024 conclu entre la N-VA, le CD&V et l’Open VLD évoque l’adoption de critères plus stricts, afin de se donner les moyens de « séparer le bon grain de l’ivraie ». Il s’agit notamment d’agir contre le financement et l’influence étrangère et d’imposer un stage d’attente de quatre ans entre la demande de reconnaissance et la décision. Le screening des communautés candidates à la reconnaissance, actuellement effectué par la Sûreté de l’État, devrait être confié à un nouveau service flamand. L’exemption du précompte immobilier, aujourd’hui acquise à tous les lieux de culte, serait désormais réservée aux seules communautés reconnues.
Ces dispositions, applicables à tous les cultes, reflètent en pratique l’attitude des autorités flamandes à l’égard du culte islamique, une attitude de fermeté et peut-être également de méfiance, qui s’était déjà traduite à la fin de la législature précédente par le gel de la reconnaissance de nouvelles mosquées, ainsi que le retrait ou la tentative de retrait de la reconnaissance de certaines mosquées.
L’accord de gouvernement wallon (PS/MR/Écolo) n’évoque pas cette question. La Région wallonne a, il est vrai, adopté récemment de nouveaux critères de reconnaissance (décret du 18 mai 2017), très similaires aux critères flamands de 2005. Quant aux procédures de tutelle sur les établissements publics de gestion des cultes reconnus – en particulier les fabriques d’église –, elles ont fait l’objet d’un décret le 13 mars 2014. Ce décret devait n’être que la première étape d’un processus de réforme plus approfondi. Un groupe de travail mis sur pied par le Parlement wallon, et réunissant des représentants du PS, du MR, du CDH et d’Écolo, avait ainsi travaillé jusqu’à l’été 2018 à l’élaboration d’une réforme transversale de l’organisation et le financement des cultes reconnus. L’accord de gouvernement wallon 2019-2024 n’indique pas si une suite sera donnée à ce travail.
En Région de Bruxelles-Capitale également, le gouvernement précédent avait préparé une réforme générale de la législation régionale, qui n’a pas été substantiellement modifiée depuis la régionalisation. L’accord de gouvernement bruxellois (PS/Écolo/Défi/Groen/Open VLD/one.brussels-sp.a) indique que le gouvernement poursuivra la modernisation de la législation en matière cultuelle, avec comme principe général l'égalité entre les cultes et comme objectifs spécifiques la simplification administrative, l'appui aux communes, une meilleure connaissance des communautés cultuelles locales et le contrôle légal des dépenses publiques et des flux financiers.
Il n’est pas interdit de penser que l’absence du CDH dans la majorité wallonne et du CDH et du CD&V dans la majorité bruxelloise pourrait faciliter la conclusion d’un accord politique sur une réforme globale de la gestion et du financement des établissements publics des cultes reconnus, ces deux formations politiques étant traditionnellement plus réticentes à une réforme qui pourrait être défavorable aux fabriques d’église ou simplement mal reçue par ces dernières. La Communauté germanophone, à qui la Région wallonne a transféré l’exercice de cette compétence, n’a pas entrepris de légiférer quant aux critères de reconnaissance.
Depuis la loi du Pacte scolaire (1959), les écoles officielles offraient à leurs élèves le choix entre un cours de l’une des six religions reconnues en Belgique et un cours de morale non confessionnelle, à raison de deux heures par semaine, pendant toute la durée de la scolarité obligatoire. En Fédération Wallonie-Bruxelles, depuis la rentrée 2017-2018, ces cours sont réduits à une heure par semaine, un cours de citoyenneté et de philosophie occupant l’autre heure. Les élèves ont également la possibilité d’opter pour deux heures de citoyenneté en lieu et place de la religion ou de la morale.
Différents acteurs, dont le Centre d’Action laïque et la Fédération des Associations de Parents de l’Enseignement officiel plaident pour la généralisation des deux heures de citoyenneté et de philosophie, les cours de religion et de morale devenant facultatifs. L’accord de gouvernement de la Fédération (coalition PS, MR et Écolo) engage le gouvernement à charger un groupe de travail spécifique au sein du Parlement afin d’examiner l’extension à deux heures de l’éducation à la philosophie et à la citoyenneté pour l’ensemble des élèves de l’enseignement obligatoire, et à renforcer la formation à la neutralité afin de permettre aux enseignants et aux équipes éducatives de développer une véritable pédagogie de la neutralité.
En Communauté flamande, où l’asbl LEF milite depuis 2011 pour le remplacement des cours de religion et de morale par un cours de philosophie, de citoyenneté et d’histoire des religions, l’accord de gouvernement prévoit que les écoles du réseau GO!, le réseau de la Communauté, remplacent une des deux heures de cours de religion et de morale par une heure de « dialogue interconvictionnel » dans les deux dernières années de l’enseignement secondaire. Tant en Flandre qu’en Wallonie (et à Bruxelles, où les deux Communautés se partagent les réseaux scolaires), l’enseignement libre, essentiellement confessionnel catholique, n’est pas concerné par l’introduction du cours de citoyenneté ou de dialogue interconvictionnel. Notons que si les écoles francophones organisées par tous les pouvoirs publics doivent organiser le cours de citoyenneté, du côté néerlandophone, il semble que seules les écoles du réseau de la Communauté flamande – et non les écoles provinciales et communales – seront tenues par cette obligation.
La question du développement d’un enseignement confessionnel islamique fait débat en Flandre. Fin août, la ministre de l’Education du gouvernement flamand en affaires courantes, Hilde Crevits (CD&V), a refusé d’agréer l’école Selam qui devait, selon le souhait de ses promoteurs, ouvrir à la rentrée 2019-2020 à Genk, devenant la première école islamique de Flandre. L’accord de gouvernement flamand prévoit l’adoption de normes de reconnaissance plus strictes pour les écoles libres, afin de s’assurer que les écoles appliquent strictement les droits fondamentaux et les droits de l'homme. En cas de doute sur la radicalisation, la sécurité de l'État ou les ingérences étrangères, un audit approfondi sera réalisé. L’accord de gouvernement de la Communauté germanophone ne prévoit pas de réforme de la gestion des cours de religion ou des écoles libres.
La question de la laïcité et/ou de la neutralité occupe, on le sait, l’espace public depuis quelques années. À côté du débat autour de l’opportunité d’inscrire ou non le principe de laïcité dans la Constitution fédérale, la discussion tourne le plus fréquemment autour du port de signes convictionnels dans l’enceinte parlementaire, au sein des services publics ou à l’école.
L’accord de gouvernement flamand prévoit que des signes de croyances philosophiques, religieuses, politiques ou autres ne pourront pas être portés par les membres de l’administration flamande qui seront en contact direct avec le public, mais laisse aux administrations locales (en particulier les administrations communales) l’autonomie de conserver leurs propres règles. L’accord précise également que la neutralité tant des enseignants que des élèves sera assurée dans les établissements scolaires du réseau GO! et du réseau provincial. Toutefois, des élèves fréquentant des écoles du réseau GO! et souhaitant conserver leur voile ont récemment obtenu gain de cause devant les tribunaux. Par ailleurs, dès 2014, le Conseil d’État avait estimé qu’une interdiction généralisée du port du voile dans l’ensemble du réseau était contraire à la liberté de culte. Aussi la mise en œuvre de l’accord du gouvernement flamand sur ce point s’annonce-t-elle délicate.
L’accord de gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles est quant à lui muet sur la question des signes convictionnels, que ce soit dans la fonction publique ou dans l’enseignement. Les accords de gouvernement en Wallonie et à Bruxelles ne mentionnent pas non plus une réglementation du port de signes convictionnels. Toutefois, l’accord applicable à la Commission communautaire française (COCOF, majorité PS/Écolo/Défi) indique que l’interdiction du port de signes convictionnels dans l’enseignement obligatoire sera maintenue, tandis qu’elle sera levée dans l’enseignement supérieur et de promotion sociale. Cette décision a été abondamment commentée dans la presse, en dépit de sa faible portée, eu égard au petit nombre d’établissements qui dépendent de la COCOF. La question du port de signes convictionnels, et plus largement celle de la laïcité, constitue un ferment de discorde au sein de la majorité, dont les partis membres n’ont pas la même attitude sur ce dossier, ou sont eux-mêmes divisés en interne à son propos.
Les dispositions traitant des cultes ou de la laïcité dans les accords de gouvernement des entités fédérées présentent des différences tant au niveau de l’importance qui leur est accordée que de l’approche de la thématique. Sans surprise, le gouvernement flamand, composé de la N-VA, du CD&V et de l’Open VLD, aborde la question sous le double angle de la sécurité et de l’intégration. Les politiques annoncées ont pour objectif tant de lutter contre le radicalisme religieux et de prévenir le terrorisme que de vérifier l’intégration des communautés religieuses dans la société flamande, notamment en vérifiant les connaissances linguistiques de leurs responsables. Paradoxalement, l’accord de majorité du seul gouvernement dont fait encore partie un parti social-chrétien est également celui qui présente les accents les plus laïques, en annonçant la prohibition des signes convictionnels pour les fonctionnaires en contact avec le public et pour les élèves du réseau d’écoles de la Communauté. Mais si l’ensemble des mesures prévues sont applicables à tous les cultes, il est clair à leur lecture que c’est avec le culte islamique en tête qu’elles ont été décidées.
La Région de Bruxelles-Capitale connaît la plus grande diversité convictionnelle sur son territoire et abrite le siège de la plupart des organes représentatifs des cultes reconnus ; elle a en outre été le cadre d’attentats terroristes récents. Toutefois, l’accord de gouvernement conclu entre le PS, Écolo, Défi, Groen, l’Open VLD et one.brussels-sp.a n’accorde que peu d’attention à la problématique des cultes et à celle de la radicalisation violente. L’annonce de la poursuite de la réforme de la législation indique plutôt une vision transversale de la thématique, et non une focalisation sur un culte particulier.
Les accords de gouvernement à la Région wallonne et à la Fédération Wallonie-Bruxelles, unissant le PS, le MR et Écolo, sont plutôt discrets sur les thématiques des convictions et du radicalisme, à l’exception de l’attention portée à la prévention de celui-ci et en particulier à l’encadrement des détenus radicalisés. Les questions des signes convictionnels et de la laïcité ne sont guère abordées dans l’espace francophone, si ce n’est à la COCOF, où Défi est au pouvoir et le MR dans l’opposition, pour refuser leur interdiction dans ses hautes écoles. Cette discrétion reflète assurément une vision différente de la problématique de part et d’autre de la frontière linguistique, mais elle est sans doute également la traduction d’une absence de consensus en la matière au sein des majorités francophones.
Caroline Sägesser (ULB et CRISP).
© Kroll, Le Soir (5 octobre 2019)