Le Kabbalah Centre se présente comme une association dont le but est de rendre la kabbale accessible, compréhensible et utilisable dans la vie quotidienne. Dans son chef, la kabbale est définie comme une sagesse ancienne qui fournit des instruments pratiques pour atteindre le bonheur et un épanouissement durables. Si l’on ne peut manquer de discerner là un vocabulaire teinté de New Age, historiquement, les choses s’avèrent plus complexes. L’association tire son nom du terme hébreu kabbalah qui, dans l’histoire du judaïsme, désigne l’ensemble des textes et des pratiques qui constituent l’ésotérisme juif. Traditionnellement, ces textes se présentent sous la forme de commentaires des Ecritures et s’adressent à des juifs religieux, rompus à l’étude du corpus traditionnel et de son commentaire, observant l’ensemble des commandements de la loi juive.
Dans ses divers outils de communication, particulièrement bien affûtés, on lit que le Kabbalah Centre se réclame de Yehudah Ashlag, rabbin et kabbaliste polonais, issu d’une famille hassidique. Ashlag est célèbre pour avoir initié une vaste entreprise de diffusion de la kabbale, à travers la publication de commentaires et de traductions de textes classiques de la kabbale en hébreu moderne. Contrairement à ce que mettra plus tard en place le Kabbalah Centre, l’œuvre d’Ashlag s’adressait avant tout à des juifs, idéalement à des juifs pieux, pratiquants. Dans les années 1960, alors que le mouvement prend son essor sous l’égide de Philip Berg, le public visé est élargi non seulement aux juifs non pratiquants, mais aussi aux non juifs. C’est là le versant plus universaliste du Kabbalah Centre, ce qui en fait un « Nouveau Mouvement religieux » qui confine au New Age.
Ainsi, dans la première introduction à l’édition bilingue du Zohar hébreu/anglais, Philip Berg réfute l’idée – « populaire » selon lui – que le peuple juif aurait été élu à l’exclusion des autres. La révélation s’adresse à tous. Dès lors, si la référence à ce qui constitue le judaïsme est bien présente (son corpus littéraire, ses membres fondateurs, sa tradition), l’ensemble des termes sont investis de significations nouvelles, plus fédératrices. Ainsi le terme « juif » en vient à désigner « toute personne qui se comporte d’une manière généreuse, tolérante et sensible, qui agit de manière divine, avec compassion envers toutes les créatures de Dieu ». Les événements de l’histoire biblique sont réinterprétés en termes de « Lumière », d’épanchement plus ou moins important de celle-ci, voire de son retrait. Le vocabulaire religieux traditionnellement lié à la kabbale est évacué au profit d’une théorie au service du bien-être de l’individu et, par extension, de la société.
Comme l’a montré Jody Myers (Kabbalah and the Spiritual Quest. The Kabbalah Centre in America, 2007), les adhérents au KC se répartissent schématiquement en trois cercles concentriques. Le cercle le plus extérieur rassemble des personnes en quête spirituelle qui adoptent une sorte de philosophie kabbalistique. Pour elles, la kabbale est un mode d’explication du monde et de son fonctionnement et de la place qu’y occupe l’homme. Ces membres du KC viennent d’horizons religieux divers et n’ont pas de part active dans le Centre. Le deuxième cercle compte des personnes qui intègrent plus profondément les doctrines du KC et pratiquent un certain nombre de rituels (comme la méditation sur les lettres hébraïques, le fait de boire de l’eau « kabbalistique » ou de porter un bracelet rouge). Enfin, dans le cercle intérieur, on trouve des personnes pratiquant tous les rituels mis en place par le KC, y compris de nombreuses mitsvot (commandements de la loi juive) et les fêtes religieuses juives. D’après Myers, ce sont principalement des personnes d’origine juive, majoritairement des Israéliens, qui pratiquent une « drôle de forme de judaïsme ».
Historiquement, la séparation de la kabbale d’avec l’ensemble du judaïsme traditionnel date de la Renaissance. Parallèlement à une kabbale qui demeure dans le sein de l’orthodoxie juive naît une nouvelle forme de kabbale, sous l’égide de penseurs chrétiens. Cette « kabbale chrétienne » devient, comme le montre Joseph Dan dans son Kabbalah, une composante à part entière de la culture spirituelle et philosophique européenne. Depuis la Renaissance jusqu’à l’occultisme du 19e siècle, la kabbale côtoie une série d’autres courants qualifiés d’ésotériques tels que l’astrologie, l’hermétisme ou l’alchimie. La prouesse du Kabbalah Centre est de se situer au croisement de deux traditions. D’une part, la tradition juive, en se réclamant de la pensée et du travail du rabbin Yehuda Ashlag et en faisant référence à l’histoire biblique et, d’autre part, la kabbale de type New Age, dans ce qu’elle a de plus universaliste.
Les rencontres qui se sont déroulées à Moscou en février et mars derniers fournissent un bon exemple de cette maîtrise de la communication dont font preuve les dirigeants du KC. Monica Berg, un des piliers de la communication du Kabbalah Centre, a prononcé une conférence sur la question des problèmes relationnels, proposant au public des outils pratiques pour les surmonter. Par ailleurs, des lectures collectives du Zohar ont eu lieu qui ont rassemblé quelque 250 personnes. Enfin, Michael Berg a dirigé, face à l’ensemble de la communauté de Moscou, la lecture de la section hebdomadaire de la Torah, pratique commune à l’ensemble des communautés juives.
Entre tradition religieuse et universalisme New Age, le Kabbalah Centre a, depuis sa fondation, toujours su naviguer entre les besoins spirituels divers exprimés par la société occidentale. Une manière aussi de conserver un public tenté par les nouvelles spiritualités d’origine orientale qui, elles aussi, fleurissent sur le marché du spirituel. Il s’agit ici de mouvements que l’historien des religions aura à cœur de suivre, pour prendre le pouls de notre société.
Anna Maria Vileno (ULB).