Publié annuellement depuis 2012, le rapport offre désormais, en ligne, des appréciations relatives à chaque pays ; il est cette fois introduit par la militante de droits humains Ensaf Haidar, laquelle s’est notamment fait connaître pour la campagne qu’elle mène en vue de la libération de son époux, Raif Badawi, et d’autres prisonniers de conscience en Arabie Saoudite, l’un des pays les plus sévères dans leur répression de l’athéisme et de l’incroyance. Le fait d’abandonner sa religion ou de changer de religion, que l’on désigne sous le terme d’apostasie dans le langage religieux, est en effet toujours passible de la peine de mort dans pas moins de douze États, parmi lesquels l’Arabie Saoudite, alors qu’il n’est pas rare que le fait même d’être athée relève de l’illégalité.
Le constat de l'IHEU est cinglant : « The overwhelming majority of countries fail to respect the rights of humanists, atheists and the non-religious. (…) there are laws that deny atheists’ right to identify, revoke their right to citizenship, restrict their right to marry, obstruct their access to public education, prohibit them from holding public office, prevent them from working for the state, or criminalize the expression of their views on and criticism of religion. In the worst cases, the state or non-state actors may execute the non-religious for leaving the religion of their parents, may deny the rights of atheists to exist, or may seek total control over their beliefs and actions ».
L’apostasie constitue un crime dans 22 pays, et est pénalisée en principe jusqu’à la sentence de mort dans 12 d’entre eux — parmi lesquels l’Afghanistan, l’Iran, la Malaisie, la Mauritanie, le Nigeria, le Qatar, l’Arabie Saoudite, la Somalie, le Soudan… Dans de nombreux pays, des lois criminalisant le blasphème — l’on peut encourir la mort pour blasphème dans six pays, parmi lesquels le Pakistan —, l’offense à la religion ou au sacré offrent non seulement un cadre légal très élastique pour persécuter les incroyants, mais fournissent une justification aux crimes commis par des activistes religieux ou des foules fanatisées lorsqu’elles se rendent coupables de violences à leur égard. De surcroît, le rapport le montre, tant le pouvoir politique que la justice de ces pays a fait preuve d’un manque manifeste de détermination pour dénoncer ou punir ces abus et ces crimes, sans compter les disparitions et les assassinats extrajudiciaires envers lesquels l’impunité a souvent été la règle également.
Le rapport 2017 attire en particulier l’attention sur les meurtres perpétrés durant ces douze derniers mois à l’encontre de non croyants au Pakistan, aux Maldives et en Inde. En Malaisie, le gouvernement a lui-même encouragé les violences en menaçant de « faire la chasse » aux apostats. Au Pakistan, suite à une campagne dirigée contre les athées, plusieurs activistes ont disparu ou ont été poursuivis pour blasphème ; actuellement, deux personnes y encourent encore directement la peine capitale. Des cas d’apostasie en Mauritanie, en Arabie Saoudite et au Soudan sont soulignés en tant qu’exemples d’une menace plus générale envers celles et ceux qui se déclarent non croyants et qui défient les structures du pouvoir religieux, en particulier dans certains pays musulmans où l’apostasie est criminalisée.
L’IHEU liste en outre plusieurs dizaines de pays, majoritairement musulmans — mais aussi la Chine, la Corée du Nord ou certaines régions d’Afrique — où la pression sociale et institutionnelle est forte à l’égard des non croyants, conduisant à de graves violations de leurs droits : discrimination ordinaire, opprobre public, climat de menaces, harcèlement, malveillance, exclusion sociale… y sont leur lot quotidien. Des discriminations moins sévères mais souvent tout aussi douloureuses sont à l’ordre du jour de 55 autres pays, parmi lesquels des États membres de l’Union européenne où une législation réprimant le blasphème est toujours d’application. Le rapport de l’IHEU y pointe également comme bafouant les droits des athées le prosélytisme religieux dans les écoles publiques, l’accès restreint à la fonction publique, les privilèges institutionnels accordés aux fidèles d’une religion, l’influence religieuse sur la loi civile ou encore le contrôle des affaires familiales et de l’état-civil par des tribunaux religieux. Quelquefois, la puissance publique requiert de ses citoyens qu’ils indiquent leur conviction sur leurs documents d’identité, mais ne prévoit à cette fin qu’une affiliation religieuse, non la mention de l’athéisme ou de l’incroyance.
Toutefois, la violence en la matière n’est pas qu’institutionnelle : dans les pays où le rigorisme religieux imprègne la société et où le conservatisme moral est répandu, la violence à l’égard de l’athéisme ou de l’incroyance est sociale aussi, et encouragée par les autorités politiques comme par les autorités religieuses. Elle est d’autant plus insidieuse que sur un plan tant national qu’international, la norme qui prévaut est que c’est la religion qui doit être protégée, non l’absence de sentiment religieux. C’est ce qu’a rappelé le rapporteur spécial des Nations Unies sur la liberté de religion ou de conviction, le Dr. Ahmed Shaheed : « Humanists (…) are attacked far more viciously and brutally than in other cases. It’s partly because there is this conception that humanists require no protection. (…) So this is one dimension that I’m very concerned about: the brutality with which social hostilities are visited upon humanists the world over. You will not find this kind of viciousness in attacks on other communities (…) if you look at specific cases the brutality with which humanists and atheists are attacked exceeds other forms of viciousness that I have come across ».
Le rapport insiste aussi sur le caractère indivisible et inter-relié des droits : quand les droits des non croyants sont bafoués, il en va souvent aussi, en parallèle, des droits des minorités religieuses. Car l’attention portée à la répression de la liberté de penser ne doit pas faire oublier que dans les contrées où elle est particulièrement mise en danger, des minorités religieuses — surtout chrétiennes — souffrent de la même marginalisation, de la même intolérance ou de la même coercition. Cependant, là où être une communauté religieuse minoritaire et discriminée est une condition pénible, le fait de proclamer son incroyance constitue un véritable danger pour celui ou celle qui le revendique. Ce qui conduit au tabou social, à l’auto-censure et à la fréquente invisibilisation de la manifestation de ce type de conviction, en dehors de réseaux informels. Elle amène en corollaire les médias, les ONG ou les défenseurs des droits de l’homme à faire peu de cas de ces manquements aux droits, à privilégier dans leurs constats et campagnes les seules atteintes à la liberté de religion et, selon l’IHEU, à ne pas donner leur pleine mesure aux atteintes aux droits des non croyants. Or c’est pourtant bien la liberté de pensée, de conscience et de religion tout à la fois que protège l’article 18 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, sans hiérarchie entre ces droits et sans distinction entre la liberté de croire et la liberté de ne pas croire.
Le rapport de l’IHEU attire enfin l’attention sur le fait que les assassinats toujours plus nombreux et autres cas de persécution commis à l’encontre des athées, ne doivent pas être perçus comme des événements isolés. Bien au contraire, ils participent d’un mouvement global de régression des droits : « The warning carried by this report is not only that we record in several countries incidents and trends of active persecution, as if they just happened, independently and spontaneously. Rather, it is that this looks very much like a pattern of regression on a global scale ».
Pour le président de l’IHEU, le Britannique Andrew Copson, c’est ici l’idée même de droit individuel et universel qui est mise en cause : « The idea that someone must be imprisoned for ostensibly ‘insulting’ the belief of a group of people puts an imagined, non-existent right of a group not to be offended, before the right of the individual to speak his or her mind. This is why human rights must, at base, be individual ». Et de plaider en conclusion, dans sa préface au rapport, pour que les droits humains soient appliqués à tous de manière strictement égale : « We are proud that all our work seeks to defend the view of individual, interconnected, universal human rights for everyone. The post-war human rights consensus seems under more pressure than ever. However, this is precisely when we need to stand up and defend these basic minimum standards ».
Jean-Philippe Schreiber (Université libre de Bruxelles).