Bien que le culte islamique ait été reconnu par la Belgique dès 1974, ce n’est qu’en 2007 que les premières mosquées ont été reconnues et financées par les pouvoirs publics. S’il fallut plus de trente ans pour concrétiser la décision du législateur belge de 1974, c’est principalement en raison des difficultés relatives à l’absence d’un organe représentatif du culte islamique disposant de la représentativité et de la légitimité nécessaires. Mais il est également vrai que les pouvoirs publics n’ont pas toujours fait preuve d’un égal enthousiasme en matière de concrétisation du financement du culte islamique, dans un contexte où la sécularisation amenait une remise en cause de plus en plus fréquente du mécanisme même de financement public des cultes et où, d’autre part, le financement de structures musulmanes pouvait être perçu par certains comme impopulaire et donc peu séduisant sur le plan électoral.
C’est à la fin des années 1990 que s’est développée la volonté politique d’appuyer l’émergence d’un islam belge, dégagé de l’influence des pays étrangers, et particulièrement de l’Arabie saoudite à qui avaient été confiées les clés du Centre islamique et culturel de Belgique (autrement dit la « Grande mosquée » du Cinquantenaire), qui un temps joua le rôle d’organe chef de culte, en désignant les professeurs de religion islamique. Après plusieurs échecs, l’idée de choisir les membres d’un Exécutif des Musulmans de Belgique via des élections au sein de la population musulmane toute entière s’est imposée, l’organe chef de culte devenant ainsi un organe représentatif de tous les musulmans de Belgique, au delà de son rôle d’institution chargée de la gestion du temporel du culte.
Deux élections furent organisées, en 1998 et 2005, mais les Exécutifs qui virent le jour furent tous deux confrontés à de graves difficultés — dissensions internes, gestion inefficace, déficit de représentativité vis-à-vis des musulmans de Belgique… — qui paralysèrent à différentes reprises le fonctionnement de l’institution. Les premiers dossiers de reconnaissance de mosquées furent toutefois menés à bien entre 2007 et 2011, dans les trois Régions, la matière ayant été régionalisée au 1er janvier 2002. Depuis cinq ans, aucun nouveau dossier de reconnaissance n’a cependant abouti ; en cause d’une part la paralysie de l’Exécutif, qui vit sa reconnaissance retirée par les pouvoirs publics (l’institution ne fonctionnant plus entre mars 2011 et mars 2014) et, d’autre part, la frilosité des pouvoirs publics dans un contexte budgétaire peu favorable à l’accroissement des dépenses.
La conjoncture est aujourd’hui bien différente. Le développement de l’islamisme radical, le départ de jeunes Belges en Syrie et les attentats de Bruxelles et Paris en 2014 et 2015 ont renforcé la volonté des pouvoirs publics de développer et de soutenir les structures d’un islam de Belgique, dégagé des influences étrangères et prônant une religion empreinte de tolérance, désireuse de contribuer à la qualité du vivre-ensemble. La mise sur pied de la Commission Marcourt, l’an dernier, en est une illustration : à l’initiative du ministre francophone de l’Enseignement supérieur, une commission a élaboré des propositions visant principalement à organiser la formation des imams et des professeurs de religion islamique en Belgique.
En témoigne également la récente annonce par le ministre fédéral de la Justice Koen Geens de l’octroi de 3,3 millions d’euros supplémentaires au financement du salaire des imams, dans le cadre d’un plan antiterrorisme : c’est bien dans le cadre de la politique de sécurité qu’une telle mesure est prise, afin de « promouvoir un islam intégré ». La prise en charge du traitement de quelque 80 nouveaux imams pourrait se faire, pour partie, au sein des mosquées actuellement reconnues : car contrairement à la pratique habituelle pour l’ensemble des cultes, qui fait correspondre à la reconnaissance d’une implantation locale la prise en charge d’un ou plusieurs traitements de ministre du culte, certaines mosquées reconnues refusent le paiement du traitement de leur imam par le Service public fédéral Justice, préférant conserver un ministre du culte envoyé et payé par le ministère turc des Affaires religieuses, la Diyanet. Mais la plupart des nouveaux postes devraient être créés au sein de mosquées nouvellement reconnues : dans les trois Régions, les ministres en charge des cultes ont annoncé ces prochaines reconnaissances.
La mise en œuvre de cette politique de développement du financement public du culte islamique nécessite de disposer d’un interlocuteur fort en la personne de l’Exécutif des Musulmans. Pour cette raison, un arrêté royal est venu réorganiser l’institution le 15 février dernier. Cet arrêté abroge tant l’arrêté royal du 3 mai 1999 — qui avait reconnu l'Exécutif des Musulmans de Belgique —, que celui du 2 avril 2014 qui avait reconnu les membres de l'Exécutif et faisait l’objet d’un recours auprès du Conseil d’Etat. Dorénavant, les membres de l’Exécutif ne seront plus nommés par arrêté royal ; leurs noms seront simplement communiqués par l’Exécutif au ministre de la Justice, lequel en prendra acte. Cette procédure est d’ailleurs de rigueur pour les autres cultes reconnus, à l’exception du culte anglican ; pour des raisons historiques, les membres du Comité central du Culte anglican sont toujours nommés par arrêté royal.
Cette nouvelle procédure implique également que les membres de l’Exécutif ne seront plus soumis, préalablement à leur entrée en fonction, au screening de la Sûreté de l’Etat. Autre élément important et novateur, l’Exécutif est dorénavant composé d’un collège francophone et d'un collège néerlandophone, désignant chacun un co-président. C’est là le premier organe représentatif d’un culte reconnu à disposer ainsi de sections linguistiques avalisées par les pouvoirs publics — le Conseil central laïque, organe représentatif de la seule organisation philosophique non-confessionnelle reconnue à ce jour se compose quant à lui bien de deux ailes, le CAL (Centre d’Action laïque, francophone) et l’UVV (Unie Vrijzinnige Verenigingen, devenu DeMens.Nu, néerlandophone). L’arrêté précise que le Collège néerlandophone est compétent pour les dossiers de la partie néerlandophone du pays et le Collège francophone, pour les dossiers de la partie francophone du pays, ce qui peut sembler étrange vu que la gestion du temporel des cultes reconnus est une matière régionale et non communautaire.
L’adoption de cet arrêté royal il y a un mois préparait le remaniement intervenu au sein de l’Exécutif ce vendredi 18 mars : une majorité des membres de l’Exécutif des Musulmans de Belgique a désigné Sallah Echallaoui à la présidence, en remplacement de Noureddine Smaïli. Professeur de religion islamique à Verviers, l’imam Noureddine Smaïli, amené à la tête de l’Exécutif en mars 2014, était très contesté en interne. Certains évoquent une fronde déterminée menée par des membres conservateurs, voire proches de la mouvance des Frères musulmans, tandis que d’autres parlent d’un simple problème de personnalité. Le président de l’EMB avait en tout cas connu bien des difficultés, qui l’amenèrent notamment à porter plainte, suite à des intimidations.
Son remplaçant, Sallah Echallaoui, n’est pas un inconnu : inspecteur des cours de religion islamique en Fédération Wallonie-Bruxelles, son nom avait déjà été évoqué il y a deux ans comme candidat potentiel à la tête de l’Exécutif. Il a en effet été, avec l’ancien président de l’EMB Coskun Beyazgül, l’une des deux chevilles ouvrières du remaniement de l’Exécutif de 2014. A la tête du Rassemblement des Musulmans de Belgique, une association soutenue par l’Etat marocain, Echallaoui a réussi, avec son homologue de la Diyanet turque, à convaincre quelques 300 mosquées de participer à la désignation des membres de l’Assemblée générale des Musulmans de Belgique chargée elle-même de désigner les membres de l’Exécutif en 2014 : l’homme paraît disposer d’une forte légitimité auprès de la communauté belgo-marocaine. Toutefois, alors qu’on l’attendait à la tête de l’Exécutif, il n’y fut pas désigné et avait dû se contenter de la présidence de l’Assemblée générale des Musulmans de Belgique, une institution au rôle limité une fois la désignation des membres de l’EMB accomplie.
Salah Echallaoui a l’avantage de bien connaître les dossiers dont il aura la charge, dont la reconnaissance des mosquées et la formation des imams ; il a notamment fait partie de la Commission Marcourt. Apprécié par ses futurs interlocuteurs au sein des pouvoirs publics, bien connu également des représentants des autres cultes reconnus et de la laïcité organisée, celui qui devient ainsi le septième président que l’institution ait connu en moins de vingt ans d’existence devra faire preuve de doigté et de diplomatie pour emporter l’adhésion des différentes communautés et fractions dont se compose l’islam de Belgique.
Caroline Sägesser (ULB).