Le système semble équitable, mais fait pourtant l’objet de nombreuses critiques en Italie. D’abord parce que le nombre de contribuables attribuant leur quotité disponible à une confession dépend directement de l’ampleur de sa campagne publicitaire et donc de sa richesse de base. Les abribus sont tapissés essentiellement de publicités tendant à convaincre les contribuables de désigner l’Eglise catholique. Cette campagne, confiée à la firme Saatchi et Saatchi, a un coût qui dépasse de loin les 10 millions d’euros.
La deuxième critique est qu’il s’agit, même sous forme « volontaire » et indirecte, d’un financement public et que les cultes choisissent ensuite librement comment utiliser ces fonds — parmi un éventail de destinations possibles —, pratiquement sans aucun contrôle.
Ainsi, selon les chiffres de la conférence épiscopale italienne, l’Eglise catholique a encaissé pour 2011 la somme de 1.118 millions d’euros dont 42 % (467 millions) ont été consacrés aux « exigences du culte et de la pastorale », 32 % (361 millions) pour le clergé et seulement 21 % à l’assistance et à la solidarité sociale, généralement via les diocèses, alors que c’est cet aspect qui est mis en avant principalement dans ses messages publicitaires.
Les autres confessions ayant signé une convention avec l’Etat ne reçoivent que des miettes par rapport à l’Eglise catholique – cinq confessions peuvent recevoir cette part d’impôt, les Baptistes, Témoins de Jéhovah et Bouddhistes ne désirant pas y participer ou n’ayant pas encore vu leur accord ratifié par le Parlement italien. Luthériens, Adventistes, Juifs et Assemblée de Dieu encaissent ainsi entre 700 000 et 3 millions d’euros. La « concurrente » la plus sérieuse à l’Eglise catholique est cependant un outsider. L’Eglise vaudoise (Chiesa Valdese) est en effet une particularité italienne. Elle réunit en théorie des chrétiens non catholiques mais, depuis quelques années, elle est surtout un point de ralliement progressiste. Les 10.248.000 euros qu’elle a touchés de l’Etat italien ont été investis pour 2/3 dans des programmes sociaux, sanitaires et culturels en Italie et pour 1/3 dans des programmes semblables à l’étranger – dont un programme contesté avec le Centre Peres de Tel Aviv.
Seuls 145.000 euros de ce pactole sont consacrés aux frais de gestion et de salaires. Quant à la publicité (chiffrée à 513.000 euros) elle est ciblée dans les organes de presse… de l’extrême gauche. En effet il semble bien que ses donateurs soient sensibles aux messages de tolérance et de soutien de la Chiesa Valdese envers les sans-papier, les gays, les chômeurs, les divorcés, les femmes qui doivent se résoudre à un avortement…
Les critiques envers ce système italien viennent pour une part de la gauche de l’Eglise catholique, qui préférerait que l’Eglise s’auto-finance directement par ses fidèles, que davantage de prêtres s’insèrent dans la vie active des travailleurs et que les laïcs bénévoles puissent occuper une plus large place – comme l’a montré l’interview de Vittorio Bellavite, coordonnateur pour l’Italie du mouvement « Nous sommes l’Eglise », dans Il Manifesto du 6 mai dernier. D’autre part, les laïques italiens relèvent que seuls 44 % des contribuables italiens attribuent leurs 8/00 à un culte ou à l’Etat. La majorité des contribuables laissent cette case vide mais payent cependant leur 8/00.
Que devient alors cet argent ? Les inventeurs du système ont prévu qu’il renforce le choix de la majorité des contribuables, à savoir l’Eglise catholique. Quant à la part attribuée par les contribuables directement à l’Etat, qui représente tout de même 145 millions d’euros, en dépit de la loi de base qui en prévoyait strictement l’usage pour lutter contre la faim dans le monde, les calamités naturelles, pour aider les réfugiés et la conservation des biens culturels, elle a été utilisée à de toutes autres fins. Un tiers sert à l’Eglise pour la restauration de ses biens « culturels », une bonne part a financé les guerres d’Irak et d’Afghanistan, 57 millions ont servi à construire des prisons et 24 millions… ont disparu, dépensés sans justificatifs par le gouvernement Berlusconi. Le « modèle » italien semble donc, aux yeux de nombre d’observateurs, bien imparfait.
Anne Morelli (ULB).